poursuivre la longue marche de ceux qui sont venus avant nous (Barack Obama)
poursuivre la longue la marche
de ceux qui sont venus avant nous
discours sur la question raciale (extraits)
Barack OBAMA
Discours prononcé le mardi 18 mars 2008 à Philadelphie. Traduit par Vincent Jauvert, journaliste au Nouvel Obs (source).
Pour nous, Français, la teneur de ce texte est tout à fait renanienne. Ernest Renan définit la nation comme une âme, un principe spirituel unissant deux choses : "L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements".
Barack Obama ne dit pas autre chose. Il est à cent lieues de certains discours communautaristes qui, en France, jouent sur la couleur de la peau ou sur la religion pour vilipender l'identité française et l'héritage national. Mobiliser l'exemple d'Obama, en France, au profit d'un combat anti-républicain cherchant à imposer une "diversité", c'est n'avoir rien compris à la campagne du candidat démocrate américain. Obama n'a pas mené une campagne ethnique, ni raciale, ni communautariste, ni "vengeresse", ni repentante... il a mené la campagne d'un grand parti national américain.
Michel Renard
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«Nous, le peuple, dans le but de former une union plus parfaite».
Il
y a deux cent vingt ans, dans une salle qui est toujours là, de l’autre
côté de la rue, un groupe d’hommes s’est réuni et, avec ces mots
simples, a lancé l’Amérique dans l’improbable expérience de la
démocratie. Des fermiers et des intellectuels ; des hommes d’État et
des patriotes, qui avaient traversé un océan pour échapper à la
tyrannie et à la persécution, ont finalement donné vie à leur
déclaration de l’Indépendance faite à la convention de Philadelphie qui
a duré tout le printemps de 1787.
Le document a fini par être
signé mais est demeuré inachevé. Il a été entaché par le péché originel
de cette nation, l’esclavage, une question qui a divisé les colonies et
a conduit la convention à une impasse jusqu’à ce que les pères
fondateurs choisissent d’autoriser la poursuite du commerce des
esclaves pendant vingt ans de plus, et laissent la résolution finale de
la question aux générations futures. Bien entendu, la réponse à la
question de l’esclavage était déjà inscrite dans notre Constitution –
une Constitution dont le cœur était l’idéal de l'égalité de tous les
citoyens devant la loi ; une Constitution qui a promis à son peuple la
liberté et la justice et une union qui pourrait et devrait être
perfectionnée au fil du temps.
Et pourtant les mots sur un
parchemin ne seront pas suffisants pour délivrer les esclaves de leur
asservissement ni pour assurer aux hommes et aux femmes de toute
couleur et de toute croyance leurs pleins droits et leurs pleines
obligations en tant que citoyens des États-Unis. Il faudra des
générations successives d’Américains qui seront prêts à s’engager – par
la protestation et la lutte, dans la rue et devant les tribunaux, par
une guerre civile et la désobéissance civique et toujours en prenant de
grands risques – pour réduire le fossé entre la promesse portée par nos
idéaux et la réalité de leur temps.
Ce fut l’une des tâches que
nous nous sommes assignée au début de cette campagne – de poursuivre la
longue marche de ceux qui sont venus avant nous, une marche pour une
Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus attentive et plus
prospère. J’ai choisi de me présenter à l’élection présidentielle à ce
moment précis de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne
pouvons pas affronter les défis de notre temps à moins de le faire
ensemble - à moins que nous n’améliorions notre union en comprenant
que nous pouvons avoir des histoires différentes, mais que nous portons
les espoirs communs ; que nous pouvons ne pas avoir la même apparence
et ne pas venir des mêmes endroits, mais que nous voulons tous aller
dans la même direction – vers un avenir meilleur pour nos enfants et
nos petits-enfants.
Je suis le fils d’un
Noir du Kenya et d’une Blanche du Kansas.
Cette croyance vient de ma foi inébranlable
dans la décence et la générosité du peuple américain. Mais elle vient
aussi de ma propre histoire américaine.
Je suis le fils d’un
Noir du Kenya et d’une Blanche du Kansas. J’ai été élevé par un
grand-père blanc qui a survécu à la grande Dépression puis a servi dans
l’armée de Patton pendant la Seconde Guerre Mondiale et par une
grand-mère blanche qui a travaillé dans une usine de bombardiers à Fort
Leavenworth pendant que lui était de l'autre côté de l'océan. Je suis
allé dans des écoles parmi les meilleures d’Amérique et vécu dans l’un
des pays les plus pauvres du monde. Je suis marié à une Noire
américaine qui porte en elle le sang d’esclaves et de propriétaires
d’esclaves – un héritage que nous avons transmis à nos deux filles
bien-aimées. J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux, des
oncles et des cousins, de toutes les races et de toutes les couleurs,
répartis sur trois continents et, jusqu’à la fin de mes jours, je
n’oublierai jamais que, dans aucun autre pays sur Terre, mon histoire
ne serait même possible.
C’est une histoire qui n’a pas fait de
moi le candidat le plus conventionnel. Mais c’est une histoire qui a
inscrit jusque dans mes gènes l’idée que cette nation est plus que la
somme de ses composantes – qu'à partir de beaucoup nous formons
vraiment un tout unique.
Pendant toute la première année de
cette campagne, et cela en dépit de toutes les prédictions contraires,
nous avons vu à quel point le peuple américain soutenait ce message
d’unité. Malgré la tentation de voir ma candidature à travers un prisme
purement racial, nous avons remporté d’impressionnantes victoires dans
des états dont la population était parmi les plus blanches du pays. En
Caroline du Sud, où le drapeau confédéré flotte encore, nous avons bâti
une puissante coalition entre des Afro-américains et des Américains
blancs.
Cela ne le veut pas dire que la question raciale n’a pas
émergé dans la campagne. À plusieurs stades de la campagne, des
commentateurs m’ont jugé soit «trop noir» soit «pas assez noir». Nous
avons vu des tensions raciales remonter à la surface durant la semaine
précédant la primaire en Caroline du sud. La presse a épluché chaque
sondage de sortie des urnes pour trouver des preuves d’une polarisation
raciale, qui opposerait non seulement les Blancs aux Noirs, mais aussi
les Noirs aux basanés. Et, pourtant, ce n’est que ces dernières
semaines que, dans cette campagne, le débat racial a pris un tour
particulièrement polarisant.
À un bout du spectre, nous avons
entendu dire implicitement que ma candidature était d’une certaine
manière un exercice de discrimination positive ; qu’elle était fondée
seulement sur le désir de libéraux naïfs de s’acheter une
réconciliation raciale pour pas cher. À l’autre bout, nous avons
entendu mon ancien pasteur, le révérend Jeremiah Wright, utiliser un
langage incendiaire pour exprimer des opinions qui peuvent non
seulement accroître le fossé racial, mais aussi des opinions qui
dénigrent à la fois la grandeur et la bonté de notre nation ; qui
offensent tout aussi bien les Blancs que les Noirs. J’ai déjà condamné
en des termes non équivoques les déclarations du révérend Wright qui
ont causé tant de controverses.
Pour certains, des questions agaçantes demeurent.
Est-ce que je savais qu’il avait été occasionnellement un critique
virulent de la politique intérieure et étrangère de l’Amérique ? Bien
sûr. L’ai-je déjà entendu faire des remarques qui peuvent être
considérées comme sujettes à controverse alors que je me trouvais dans
son église ? Oui. Étais-je en profond désaccord avec nombre de ses
positions politiques ? Absolument – de la même façon que je suis sûr
que beaucoup d’entre vous ont entendu des remarques de vos pasteurs,
prêtres ou rabbins avec lesquelles vous étiez en profond désaccord.
Mais
les remarques qui ont causé la récente levée de bouclier n’étaient pas
simplement sujettes à controverse. Elles ne représentaient pas
simplement l’effort d’un leader religieux pour s’élever contre ce qu’il
percevait comme une injustice. Elles exprimaient une idée profondément
fausse de notre pays – l'idée selon laquelle le racisme blanc serait
endémique et qui met tout ce qu'il ya de mal en Amérique au dessus de
tout ce que nous savons être bien en Amérique ; une idée selon laquelle
les conflits au Moyen-Orient trouveraient leur origine principale dans
les actions d’alliés solides comme Israël, et non dans des idéologies
perverses et haineuses de l’Islam radical.
En tant que tels, les
commentaires du révérend Wright n’étaient pas seulement faux : ils
cherchaient à diviser, à un moment où nous avons tant besoin d’unité ;
ils avaient une connotation raciale, à un moment où nous avons besoin
de nous rassembler pour résoudre une série de problèmes monumentaux –
deux guerres, une menace terroriste, une économie qui chute, une crise
chronique du système de santé et un changement climatique
potentiellement dévastateur ; des problèmes qui ne sont ni noirs, ni
blancs, ni latinos, ni asiatiques, mais plutôt des problèmes qui nous
concernent tous.