1880 : première fête nationale du 14-juillet
première fête nationale du 14-juillet
Contexte historique
Instauration de la fête nationale
Devant
le renforcement de la majorité républicaine aux élections de 1879, le
royaliste Mac-Mahon, découragé, démissionne de la présidence de la
République et est remplacé par un vieux républicain modéré, Jules Grévy
(1807-1891). Désormais à toutes les commandes du pouvoir, les
républicains prennent simultanément des mesures symboliques : transfert
du siège des pouvoirs publics de Versailles (1871) à Paris (1879),
amnistie accordée aux condamnés de la Commune (10 juillet 1880),
adoption de La Marseillaise comme hymne national (1879) et du 14 juillet pour fête nationale (6 juillet 1880).
Cette
première fête nationale se veut à la mesure de l’événement, à Paris
comme en province, mais veille à ménager les opinions locales comme à
Angers, dans le Maine-et-Loire, département catholique et conservateur[1].
Le vote pour la « République » a rassemblé les partisans de la liberté
et de la laïcité qui veulent établir sans délai l’égalité par le
suffrage universel et une véritable souveraineté populaire. Cependant
la France de 1880 n’est ni unanime ni paisible, et les nouveaux
gouvernants n’affichent pas ouvertement leur doctrine : l’heure n’est
pas à la propagande, mais à l’opportunisme républicain.
Partout
le programme de la fête adopte le même rituel : concerts dans les
jardins, décoration de certaines places, illuminations, feux d’artifice
et distributions de secours aux indigents. À Paris doit dominer la
distribution des nouveaux drapeaux à l’armée, à Longchamp.
Analyse de l'image
Le 14 juillet 1880 à Paris
La
lithographie anonyme publiée à Paris s’adresse à la clientèle populaire
désireuse d’emporter un souvenir de la fête. Cet exemplaire est même
enjolivé de pastilles d’argent rehaussant les initiales républicaines.
Marianne (la République) qui préside à la cérémonie en arbore le
drapeau tricolore et l’épée, mais son bonnet phrygien orné d’une
cocarde tricolore constitue un signe plus frappant pour les
contemporains. Cet attribut révolutionnaire de la Liberté encore
officiellement interdit[2],
même si la couronne de lauriers l’atténue quelque peu, révèle l’audace
du courant radical et expressionniste qui porte alors la République
dans la capitale. À Paris, l’opinion de la rue dépasse en hardiesse les
hommes politiques : on expose la Marianne partout, sur les appuis de
fenêtre, sur les marchés, et on l’y met avec son bonnet.
La
remise des drapeaux à l’hippodrome de Longchamp a visiblement été
imaginée sans connaître le déroulement de la fête grandiose
qu’illustrera Édouard Detaille (1848-1912). La cérémonie se veut le
symbole du renouveau de l’armée française au lendemain de la guerre de
1870. Les régiments reconstitués après la chute de la Commune avaient
reçu un drapeau provisoire en 1871. Leur emblème définitif n’est choisi
qu’au début de 1879, et c’est le 14 juillet 1880 qu’ils reçoivent du
président de la République les emblèmes qui sont encore aujourd’hui
ceux de l’armée française.
Dans cette lithographie, les chefs du
gouvernement, Jules Grévy, président de la République, Léon Say
(1826-1896), du Sénat, et Léon Gambetta (1838-1882), de la Chambre (en
dehors du dais) accomplissent leur rôle de représentants de la nation
sur un mode naïf qui reflète sans doute la conception populaire du
pouvoir républicain : ni personnel, ni arbitraire, ni viager, ni
héréditaire.
Entre les nuages du ciel et ceux des canons
d’artillerie, la prise de la Bastille commémore une aurore. La date qui
vient d’être choisie pour fête nationale correspond, dans tous les
esprits, à l’événement fondateur de 1789 et non à la fête de la
Fédération nationale du 14 juillet 1790, invoquée lors des débats au
Sénat.
À gauche, le vaisseau la Loire, qui assure la
liaison maritime avec la Nouvelle-Calédonie, ramène les Communards
déportés. Le régime républicain accueille ces « absents », qui
s’étaient considérés comme l’avant-garde de la République dix ans
auparavant. Cette amnistie répond à l’action pressante menée par Victor
Hugo au Sénat[3]
et aux aspirations sociales du petit peuple de Paris : au-delà de
l’égalité, l’esprit d’humanité et de fraternité imprègne le programme
républicain.
Le 14 juillet 1880 à Angers
À Angers,
la municipalité républicaine du maire Jules Guitton a fait voter un
crédit exceptionnel dont aucun des 14-Juillet suivants n’égalera le
montant jusqu’en 1914. L’affiche imprimée en couleur à cette occasion
annonce largement les festivités placées sous l’égide de la République,
sculptée en 1876 par Angelo Francia, dont la ville d’Angers a acquis un
buste en plâtre en 1878[4].
Cette Marianne qui porte l’étoile au front et la couronne de laurier se
démarque de tout symbole révolutionnaire provocant. Au centre,
l’affiche prend tout de même soin de rappeler la réalité politique :
« La République est le gouvernement légal du pays », associant à cette
devise la mémoire de Thiers, l’ancien président républicain décédé en
1877. Elle met aussi en relief le progrès, symbolisé par le chemin de
fer et le bateau à vapeur.
Des attractions nombreuses et
diverses, identifiées au bas de l’affiche, sont proposées dans les
entrelacements de feuilles de chêne et de laurier. En fait, ce
programme reçoit quelques prudents aménagements. La revue militaire est
supprimée, l’armée ne souhaitant pas être associée à la fête ; son
approbation du régime n’est pas partout totale. Dans l’ensemble, la
fête est accueillie fraîchement, à l’exception de la brillante fête
vénitienne sur la Maine, qui remporte un grand succès.
Interprétation
Les deux visages de Marianne
La
République s’implante dans le décor et dans les mentalités. La victoire
politique déborde du domaine politico-institutionnel au domaine
quotidien et aux représentations populaires et folkloriques. Mais on ne
peut alors prévoir jusqu’à quel degré d’extension et, moins encore,
pour combien de temps.
Après quatre-vingt dix ans de
bouleversements, c’est bien au triomphe de la Révolution qu’on assiste
mais il se fait sans apparition d’images officielles de la République
ni du nouveau président Jules Grévy. L’image publiée à Paris exprime la
symbolique spontanée de la masse du parti démocratique tandis que
l’affiche d’Angers présente, sous l’égide du progrès et de la
neutralité, le programme d’une municipalité républicaine qui ménage les
divergences d’opinions.
La victoire républicaine que symbolise
la Marianne adopte un visage différent selon les contextes : à Paris,
sous le bonnet phrygien, c’est une Marianne “ de gauche ” dans laquelle
les élites ne peuvent se reconnaître, tandis qu’à Angers, l’étoile et
les lauriers ornent une Marianne “ de droite ”. Mais le contenu
subversif du bonnet s’effacera bientôt, le transformant en emblème
commun de la République.
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
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