Débat sur l'identité nationale
Max Gallo :
en chaque Français, il y a un étranger
L'historien et écrivain Max Gallo se mêle au débat sur l'identité nationale, qui sera défendue vendredi par François Fillon. Sans détour.
lepoint.fr : Le débat sur l'identité nationale est-il nécessaire ?
Max Gallo : Je le crois, parce que l'ensemble des nations traverse une période de
transition marquée par les nouvelles technologies. Ces dernières
modifient les rapports des hommes entre eux, des hommes à leur État et
des hommes à la politique. Je pense en particulier à la spontanéité et
à l'immédiateté de l'intervention du citoyen par le biais d'Internet.
Cette période est aussi marquée par des variations des équilibres
démographiques, avec de grands déplacements de population, au moins
pour quelques décennies encore. Naturellement, tout cela modifie ou, du
moins, interroge la conception habituelle que nous avons de la nation.
Sans compter que notre histoire nationale est celle d'un pays ouvert
qui n'est pas composé d'une population homogène. En chaque Français, il
y a un étranger.
Certains estiment que l'identité nationale est une affaire d'histoire et qu'il ne convient pas aux politiques de l'accaparer...
Ces gens ne connaissent pas l'histoire. Depuis les Capétiens en passant
par Louis XIV jusqu'à l'époque révolutionnaire et la IIIe république,
le pouvoir s'est soucié de la question de l'identité nationale. Prenons
un exemple flagrant : en 1879-1880, la République décide de fixer la
date de la fête nationale au 14 juillet et de fixer l'hymne national.
C'est bien évidemment une intervention politique. Quand la Constituante
décide de passer de l'expression "roi de France" à l'expression "roi
des Français", c'est la même chose. Le 10 juillet 1940, le maréchal
Pétain a évidemment forgé une nouvelle identité en choisissant
"travail, famille, patrie" comme devise à la place de "liberté, égalité
fraternité". À chaque instant de notre histoire, il y a eu
interrogation sur la question de l'identité nationale et, à chaque
fois, les politiques sont intervenus dans le débat. Aujourd'hui, il
s'agit de l'ouvrir et non de le fermer. Nous sommes heureusement en
République : j'imagine que le gouvernement n'a pas l'intention
d'imposer quoi que ce soit.
Qu'est-ce qu'être français aujourd'hui ?
Premier point : être français, c'est aimer la France, c'est-à-dire
connaître son histoire, aimer les paysages travaillés par les hommes :
nous avons bâti un espace monumental urbain qui nous définit. C'est une
définition affective, mais très importante. Il n'y a pas de réflexion
sur le fait d'être français si on ne commence pas à dire que l'on a un
lien particulier fait d'attirance et d'amour pour son pays.
Deuxième point : Fernand Braudel a parlé de "problématique
centrale de la nation". C'est une notion intéressante parce qu'elle
signifie qu'il n'y a pas de points fixes, mais des points de repère qui
encadrent l'identité nationale. Il y a d'abord le droit du sol : on ne
demande pas à un Français quel sang coule dans ses veines parce que
nous avons toujours été parcourus par des peuples venant du Nord, de
l'Est, du Sud, et dont beaucoup se sont enracinés. Il y a ensuite
l'égalité, permanente en France depuis le Moyen-Âge. On ne peut pas
toucher à cette symbolique de l'égalité des chances sans déclencher des
fureurs. Il y a aussi le rôle de l'État, la laïcité et la langue. Il
faut parler le français. La construction de la langue a commencé au
XVIe siècle, en 1539, avec l'édit de Villers-Cotterêts qui a imposé
dans les textes juridiques la langue française.
...soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties
en langaige national françoys et non autrement
Qui dit langue dit
école. Puisque nous avons en nous une part d'étranger, elle a un rôle
central. C'est le lieu où se forge la citoyenneté. Ce qui amène à un
autre point : le rapport individuel des citoyens avec l'État. C'est ce
qui nous oppose au communautarisme. Il y a aussi "la sociabilité
française", c'est-à-dire notamment l'égalité homme-femme, qui s'est
forgée dans l'amour courtois, les favorites, les femmes savantes...
Nous avons toujours imposé au rapport homme-femme une règle qui existe
dans fort peu de pays : l'épanouissement de la femme. Un autre point,
c'est la conscience du risque d'émiettement de la nation parce que nous
sommes divers. Il y a toujours un risque de "guerre de religion". Pas
seulement des frondes, d'affrontements politiques, mais aussi de
guerres civiles violentes. Il y a enfin la vocation universaliste. Elle
renvoie au rôle qu'a joué la France à l'intérieur du catholicisme. La
France était la fille aînée de l'Église. D'une certaine manière, elle
est devenue Marianne, la fille aînée des Républiques.
Pourquoi le risque d'émiettement de la nation est-il fort aujourd'hui ?
Il y a une responsabilité des élites qui, depuis 30 à 40 ans, n'ont
jamais tenu de discours sur l'identité nationale. Par peur de l'extrême
droite, ils ont abandonné au Front national la symbolique nationale.
Ils n'ont pas tenu de grands discours sur l'intégration. Surtout, la
réalité sociale et économique ne favorise pas l'intégration : il n'y a
plus d'école ni de service militaire... Nous n'avons pas dit aux
immigrés que nous sommes un pays qui a déjà une histoire dans laquelle
ils doivent s'insérer pour la modifier, comme nous l'avions fait sous
la IIIe république avec les immigrés italiens, polonais. Ce n'est pas
parce qu'ils étaient européens que c'était plus facile. Il ne s'agit
pas de dire "nous sommes des Gaulois", mais "il y a des Gaulois".
Autrement dit, il s'agit de souligner que la France ne commence pas
avec l'arrivée sur le sol de la dernière vague d'immigration. C'est la
question du rapport à l'histoire. C'est pour ça que j'ai toujours été
réservé sur la question de la repentance. Autant je crois qu'il ne faut
rien dissimuler de l'histoire nationale, et Dieu sait si elle est riche
en crimes, en erreurs, en guerres injustes, en esclavage, autant je
pense qu'il ne faut pas en faire une histoire criminelle. L'histoire de
France ne vaut ni plus ni moins que les autres histoires nationales.
Mais on oublie souvent qu'il n'y a jamais d'intégration immédiate. Je
suis fils d'immigré italien : en 1893, il y a eu des pogroms contre les
Italiens. Il ne faut jamais demander au nouvel arrivant de renoncer à
cette part étrangère de lui-même. Elle enrichit la nation à condition
qu'elle s'inscrive dans cette problématique centrale de la nation et de
ces paramètres que j'ai définis.
immigrés italiens
Quel est l'apport de l'immigration à l'identité nationale ?
La France s'est construite dans un amalgame permanent entre des
individus arrivant de l'étranger et puis ce sol, ce lieu, cette
histoire de France. Nous sommes quand même le pays de la reine Marie de
Médicis, de Richelieu, de Mazarin, de Léon Gambetta. Autrement dit,
nous sommes ouverts. Pour des raisons géographiques, puisque nous
sommes le Finistère européen, traversé du nord au sud. Nous sommes à la
fois flamands et occitans, germaniques et celtes. Si, à l'évidence, il
y a des racistes en France, la France n'est pas et n'a jamais été un
pays raciste. Elle est le pays d'une histoire, de l'étranger dans
chaque Français.
Comment renforcer l'identité nationale ? En chantant la Marseillaise à l'école, par exemple ?
En apparence, cette mesure ne change rien. On peut même en sourire,
voire la contester. En réalité, c'est important d'avoir un discours sur
l'identité nationale. J'espère qu'on renforcera l'enseignement du
français, le principe de la laïcité, et le respect des symboles
nationaux, républicains. Il faut aussi que l'intégration puisse se
réaliser au travers de la vie sociale et économique. Cela passe par des
mesures ponctuelles, modestes, mais rigoureuses, comme peut-être le CV
anonyme. Mais ces questions doivent être étudiées techniquement et
expérimentées.
propos recueillis Marc Vignaud
2 décembre 2009 - Le Point.fr
La République, allégorie, Jean-Antoine Gros, 1794
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