les "pays", au sens braudélien du terme
Identité nationale :
le vrai débat n'aura pas lieu !
Denis TILLINAC
Le débat sur l'identité nationale n'aura pas lieu. Les politiques, les journalistes, les intellos prennent des positions le plus souvent manichéennes sur le mode d'intégration de nos compatriotes arabo-musulmans ou africains. Faut-il tolérer la burqa ? Laisser pointer des minarets ? Régulariser les sans-papiers ? Subventionner les banlieues où çà chauffe ?
On se gargarise de gros mots («laïcité,
valeurs républicaines, citoyenneté»), on mobilise grotesquement des
parias de l'histoire (Pétain, Déat, Laval) et, au bout du compte, l'on finit
par découvrir une évidence : les Français n'ont pas plus de sympathie pour
l'islam que les autres Européens. Un vrai débat sur l'islam ne serait pas sans
intérêt, mais il ne concerne l'identité nationale qu'à la marge. Or cette
identité existe.
Or cette majorité,
prolétaire ou bourgeoise, est exclue du débat, et le sent, et s'en exaspère
sans pouvoir le dire. C'est elle, pourtant, qui pérennise l'identité française
; c'est elle, en conséquence, qui détient le secret de l' «intégration».
Dans le panthéon intime de la France, Jeanne d'Arc fraternise avec Gavroche, Roland à Roncevaux avec Bonaparte au pont d'Arcole, Mimi Pinson avec la duchesse de Guermantes, la gouaille du titi avec la pagnolade à l'aïoli, la gourmandise rabelaisienne avec la rigueur pascalienne, la môme Piaf avec Villon. Dans l'imaginaire des Français, on repère l'amour rustique du clocher et l'appel romantique de l'Orient, ainsi qu'une pente au bovarisme, une autre au panache de Cyrano, une autre à prendre benoîtement ses aises apéritives. Liste non exhaustive.
C'est aussi cette manie de
lâcher des idéologues sur la rive gauche de la Seine pour des chamailleries
conceptuelles dont on se fout éperdument, la sagesse populaire ayant pris acte
de nos contradictions insolubles. Par exemple, ce chahut verbeux qui tourne en
rond autour de minarets fantoches, alors que notre «identité», on la
connaît par coeur, on la cultive, elle va de soi ou presque.
Le désir, le
sentiment, le bonheur d'être français sont accessibles à toute minorité. Avec
le temps, bien sûr, et à condition que la majorité - silencieuse et pour cause
- soit assurée de ne pas y laisser trop de plumes symboliques. Sinon elle se
rétracte, et sa méfiance tourne à la franche hostilité.
La France n'est pas une page blanche sur laquelle
des utopistes en serre chaude écriraient à la hâte le mot «citoyenneté».
Ni l'espace abstrait d'une appropriation ex-nihilo. La France, on sait
de quoi son identité retourne ; cessons de l'ignorer dans leurs pompes d'où ils
viennent. Surtout ceux de fraîche date : plus que les enracinés, ils ont besoin
de savoir de quoi ils héritent au juste.
Denis Tillinac est
chroniqueur à Valeurs actuelles.
PS : cet article est extrait
du n° 663 (du 2 au 8 janvier 2010) de l'hebdomadaire Marianne - source