quand un politologue fait l'impasse
sur l'histoire
Michel RENARD
Jean-François Bayart (photo ci-dessus), qui est tout de même directeur de recherche au CNRS, a été interviewé dans Le Monde daté du 6 novembre dernier, à propos de l'identité nationale. Ses propos sont consternants . Quelques critiques
- Jean-François Bayart : "Il est dangereux de voir le pouvoir politique s'emparer ex cathedra de la définition de l'appartenance, de l'identité nationale".
- critique : …?? ce n'est pas le cas. Le ministère d'Éric Besson n'a imposé aucune définition, il a lancé un débat. C'est tout. Il y a de l'abus à toujours jouer de cette vision policière du politique, de la suspicion adossée au fantasme d'un État totalitaire manipulant les esprits. Bayart nous prend pour qui ? Nous ne sommes pas dans l'Allemagne de 1938 ni dans la Russie stalinienne.
- Jean-François Bayart : "Les identités n'existent pas. Il n'y a pas d'identité française mais des processus d'identification contradictoires qui définissent la géométrie variable de l'appartenance nationale et citoyenne".
- critique : Phrase creuse. Il n'y a pas d'identités mais des processus d'identification… on joue sur les mots…! Bayart s'invente un épouvantail – que personne ne brandit – pour le combattre facilement : l'identité naturelle, à laquelle il oppose, évidemment, les constructions historiques d'identité. Qu'on me cite un seul auteur parlant d'identité "naturelle"…
village néolithique du Jura : "pour l'essentiel, les jeux biologiques sont déjà
conclus à la fin du Néolithique" (Braudel, "Lidentité de la France")
- Jean-François Bayart : "La France s'est constituée de cette manière par vagues successives de mouvements humains".
- critique : Il ne faut pas exagérer… On a l'impression du hall de la gare Saint-Lazare aux heures de pointe…! La France n'a jamais été "envahie" par des "vagues" massives recouvrant le substrat antérieur. Tous les historiens sérieux le savent mais nombre de politologues, d'anthropologues et de sociologues ignorent proprement les données historiques les plus élémentaires…!
Par exemple la Gaule qui comptait probablement de 8 à 10 millions d'habitants, n'a pas été submergée par les Romains au terme d'une rupture de civilisation et de population. Christian Goudineau, professeur au Collège de France, s'insurge contre cette vision : "je me bats pour montrer que ce n'est pas du tout comme ça que les choses se sont passées ! Je conteste l'idée de rupture. Si la romanisation a marché, c'est parce que le monde gaulois y était prêt. Il s'était déjà rapproché du monde méditerranéen, contrairement à ce qu'on nous raconte la plupart du temps. L'idée d'une Gaule farouche, résistante, sans lien avec les Romains qui surgiraient tout d'un coup avec à leur tête le vilain César, est totalement fausse." (source)
Rappelons que le total de l'armée romaine, pour garder toutes les frontières, est de 350-000 soldats, pas plus… Rome a organisé sa conquête avec quelques centaines de fonctionnaires civils.
De même les "grandes invasions du Ve siècle n'ont pas mis en mouvements des millions d'individus. Les Germains n'ont été que quelques dizaines de milliers, les Wisigoths qui s'installent entre Bordeaux et Narbonne par le traité de 416, sont 100 000 au maximum.
Dans l'empire de Charlemagne et de ses successeurs, avec ses 15 à 18 millions d'habitants, les Normands, Sarrasins et Magyars infligèrent des destructions, imposèrent des rançons mais ne modifièrent en aucun cas les composantes démographiques massives de la population.
"Les contemporains ont surestimé
l'importance numérique des armées scandinaves ; leurs évaluations n'ont
aucune valeur statistique ; elles ne témoignent pas d'un ordre de
grandeur véritable mais d'un véritable choc mental, qui, lui, était
réel" (Albert d'Haenens, Les invasions normandes, une catastrophe ?, Flammarion, 1970, p. 103).
Quant au mobile des raids : "La grande affaire des agresseurs n'était
donc pas la guerre ou l'occupation du sol, mais bien la quête de
numéraire et de butin aux dépens d'un continent riche, mal défendu et
facile à exploiter. Ils débarquaient pour faire fortune et s'en
retournaient fortune faite. Voilà la seule grille qui se dégage avec
constance de leurs comportements" (ibid. p. 31). Finalement, lorsque certains des Normands se sédentarisèrent, après la défaite de leur chef Rollon en 911, reconnu pourtant duc de Neustrie, ils furent rapidement christianisés et romanisés.
Les "envahisseurs ont surtout fait sentir des ondes de choc sur la
Gaule : ils n'ont pas réellement investi son territoire pour le
transformer en un manteau d'Arlequin comme l'Italie, ou en un double
bloc orienté nord-sud comme en Espagne. À défaut de continuité
politique, il y a une certaine stabilité globale de l'espace
géographique franc" (Michel Banniard, Le haut Moyen-Âge occidental, 1980, p. 25).
il n'y a jamais eu de "vagues successives de mouvements
humains"... ni en Gaule ni en France
Ensuite, il n'y a plus d'«invasions»… Il faut cesser de mythifier sur le brassage de populations de la Gaule romaine, franque puis capétienne. Les "vagues successives de mouvements humains", dont parle Jean-François Bayart, n'ont jamais existé… Sans parler de "pureté" ethnique qui ne veut rien dire, c'est plutôt la stabilité du fonds de population qui caractérise la France.
C'est d'ailleurs le constat que dresse Fernand Braudel dans L'identité de la France (1986) : "pour l'essentiel, les jeux biologiques sont déjà conclus à la fin du Néolithique. Les invasions qui suivront, et notamment celle des Celtes – si nombreuse et violente qu'on l'imagine et si puissant qu'ait été son impact culturel -, se perdront peu à peu dans la masse des populations déjà installées, soumises, rejetées parfois de leurs terres, mais qui resurgiront, s'étaleront, prospéreront à nouveau. Le nombre conserve sans doute. N'en sera-t-il pas de même vis-à-vis des Romains ? Et non moins face aux invasions barbares du Ve siècle, ou aux immigrés trop nombreux qui inquiètent la France actuelle ? Ce qui compte c'est la masse, la majorité en place. Tout s'y perd à la longue" (p. 444-445, éd. Le Grand livre du mois).
Que répondre à cela ? Que Braudel, comme certains l'ont dit à propos de Lévi-Strauss, est raciste…?
- Jean-François Bayart : "Quand le politique cherche à s'emparer du social, et singulièrement de l'identitaire, le totalitarisme n'est jamais loin".
- critique : Si l'œuvre scientifique de Bayart est à l'aune de cette proposition, il y a de quoi s'alarmer…! Le politique ne cherche pas à s'emparer de l'identitaire, il fait en discuter des millions de Français. N'est-ce pas un débat "citoyen" comme on disait il y a quelque temps en se gargarisant du mot ?
un "imaginaire national" mais pas d'identité nationale...?
- Jean-François Bayart : "(…) la volonté de rupture de Nicolas Sarkozy. Celle-ci remet en cause des fondamentaux du pacte social français, comme le service public, élément constitutif de l'imaginaire national français".
- critique: Alors comme cela, il y a un "imaginaire national français" mais pas d'identité nationale française… C'est une affirmation cohérente ça ? De quoi relève l'imaginaire si ce n'est de l'identité ?
identité française ? oui, sans conteste...
- Jean-François Bayart : "Le génie de la République française a effectivement été le droit du sol. Il était facile de devenir Français".
- critique : Le génie de la République française n'a pas été seulement le droit sol mais l'assimilation, c'est-à-dire la volonté délibérée de faire des arrivants des Français. Et il n'était pas "facile" de devenir Français. Mais l'objectif en était au moins affirmé, et mis en oeuvre. Aujourd'hui, cette politique d'assimilation est regardée de travers au prétexte d'un relativisme culturel outrancier qui ne voit de bon que dans la culture des autres et plus dans la sienne propre…
- Jean-François Bayart : "les identités, ce sont ce que nous en faisons socialement, politiquement et empiriquement, au jour le jour".
- critique : Quelle illusion… Les identités, ce sont d'abord des héritages, on s'arrange avec eux bien sûr… mais on ne les refait pas au jour le jour…! Pourquoi les politologues en arrivent à nier le passé, le poids de l'histoire…? à faire croire que la page est toujours blanche ?
- Jean-François Bayart : "Je croyais avoir lu au lycée que le maréchal Pétain avait reçu les pleins pouvoirs par un vote de la représentation nationale…"
- critique : "Je croyais"… eh oui, quand on a pour bagage historique que de vagues souvenirs de lycée… on commet des erreurs. Ce n'est pas "la" représentation nationale qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain mais une partie d'entre elle, même si elle a été majoritaire : 569 députés et sénateurs pour, 20 abstentions et 80 contre ; il manquait, de plus, les 26 députés (dont Jean, Mendès-France, Daladier, Georges Mandel, Delbos, Diouf...) et un sénateur partis vers l'Afrique du Nord sur le Massilia ainsi que les députés communistes exclus à la suite du pacte germano-soviétique.
Michel Renard
19 novembre 2009
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