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identité nationale

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identité nationale
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6 novembre 2008

identité nationale et politique de l'immigration (Rama Yade)

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L’identité nationale

ne veut pas dire la pureté raciale


Rama YADE


France Info - Cela ne vous choque pas qu'on ait instauré un ministère de l'Identité nationale ?
Rama YADE
: L’identité nationale ne veut pas dire la pureté raciale, sinon je ne ferais pas partie de ce gouvernement. Dans l’idéal, il faudrait que même les personnes issues de l’immigration se sentent partie prenante de cette identité. L’identité nationale est une expression dans laquelle, je pense, tout le monde, quelle que soit son origine, devrait pouvoir se retrouver.

La Marseillaise, le drapeau français, ces attributs de la nation appartiennent également à des gens comme moi, tout comme aux jeunes issus de l’immigration…

Alors il y a la question de savoir ce que fait ce ministère, à savoir la gestion de l’immigration, ce qui suppose des expulsions de temps en temps. Mais c’est une chose ce que l’on peut ressentir personnellement, et c’en est une autre la gestion d’un État et d’un pays. Cela suppose de ne pas être emporté seulement par un idéal ou par des principes, mais aussi par la responsabilité. Est-ce que s’occuper des droits de l’homme signifie ouvrir les frontières et laisser rentrer tout le monde ? Je ne suis pas sûr que ce serait responsable.

Je pense même que les droits de l’homme seraient sérieusement remis en cause parce que tous ces gens qui rentreraient n’auraient pas d’emplois, pas de logements, et à ce moment-là on dirait «mais que fait la secrétaire d’État aux droits de l’homme ?» La gestion de l’immigration a un aspect quelque peu désagréable pour ceux qui en ont la charge, mais en même temps le principe de responsabilité veut qu’il faille poser une limite à l’immigration dans le nombre.

extraits d'une interview recueillie par Philippe Triay pour France 2,
4 novembre 2008, 15 h 02 (texte complet)

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Rama Yade, secrétaire d'État
aux droits de l'homme, représentant la France
à la tribune de l'ONU le 20 mai 2008

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5 novembre 2008

poursuivre la longue marche de ceux qui sont venus avant nous (Barack Obama)

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poursuivre la longue la marche

de ceux qui sont venus avant nous

discours sur la question raciale (extraits)

Barack OBAMA

 

Discours prononcé le mardi 18 mars 2008 à Philadelphie. Traduit par Vincent Jauvert, journaliste au Nouvel Obs (source).

Pour nous, Français, la teneur de ce texte est tout à fait renanienne. Ernest Renan définit la nation comme une âme, un principe spirituel unissant deux choses : "L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements".

Barack Obama ne dit pas autre chose. Il est à cent lieues de certains discours communautaristes qui, en France, jouent sur la couleur de la peau ou sur la religion pour vilipender l'identité française et l'héritage national. Mobiliser l'exemple d'Obama, en France, au profit d'un combat anti-républicain cherchant à imposer une "diversité", c'est n'avoir rien compris à la campagne du candidat démocrate américain. Obama n'a pas mené une campagne ethnique, ni raciale, ni communautariste, ni "vengeresse", ni repentante... il a mené la campagne d'un grand parti national américain.

Michel Renard

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h_9_ill_1024786_440511Discours de Barack Obama

«Nous, le peuple, dans le but de former une union plus parfaite».

Il y a deux cent vingt ans, dans une salle qui est toujours là, de l’autre côté de la rue, un groupe d’hommes s’est réuni et, avec ces mots simples, a lancé l’Amérique dans l’improbable expérience de la démocratie. Des fermiers et des intellectuels ; des hommes d’État et des patriotes, qui avaient traversé un océan pour échapper à la tyrannie et à la persécution, ont finalement donné vie à leur déclaration de l’Indépendance faite à la convention de Philadelphie qui a duré tout le printemps de 1787.

Le document a fini par être signé mais est demeuré inachevé. Il a été entaché par le péché originel de cette nation, l’esclavage, une question qui a divisé les colonies et a conduit la convention à une impasse jusqu’à ce que les pères fondateurs choisissent d’autoriser la poursuite du commerce des esclaves pendant vingt ans de plus, et laissent la résolution finale de la question aux générations futures. Bien entendu, la réponse à la question de l’esclavage était déjà inscrite dans notre Constitution – une Constitution dont le cœur était l’idéal de l'égalité de tous les citoyens devant la loi ; une Constitution qui a promis à son peuple la liberté et la justice et une union qui pourrait et devrait être perfectionnée au fil du temps. 

Et pourtant les mots sur un parchemin ne seront pas suffisants pour délivrer les esclaves de leur asservissement ni pour assurer aux hommes et aux femmes de toute couleur et de toute croyance leurs pleins droits et leurs pleines obligations en tant que citoyens des États-Unis. Il faudra des générations successives d’Américains qui seront prêts à s’engager – par la protestation et la lutte, dans la rue et devant les tribunaux, par une guerre civile et la désobéissance civique et toujours en prenant de grands risques – pour réduire le fossé entre la promesse portée par nos idéaux et la réalité de leur temps.

Ce fut l’une des tâches que nous nous sommes assignée au début de cette campagne – de poursuivre la longue marche de ceux qui sont venus avant nous, une marche pour une Amérique plus juste, plus égale, plus libre, plus attentive et plus prospère. J’ai choisi de me présenter à l’élection présidentielle à ce moment précis de l’histoire parce que je crois profondément que nous ne pouvons pas affronter les défis de notre temps à moins de le faire ensemble  - à moins que nous n’améliorions notre union en comprenant que nous pouvons avoir des histoires différentes, mais que nous portons les espoirs communs ; que nous pouvons ne pas avoir la même apparence et ne pas venir des mêmes endroits, mais que nous voulons tous aller dans la même direction – vers un avenir meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants.


Je suis le fils d’un Noir du Kenya et d’une Blanche du Kansas.


Cette croyance vient de ma foi inébranlable dans la décence et la générosité du peuple américain. Mais elle vient aussi de ma propre histoire américaine.

Je suis le fils d’un Noir du Kenya et d’une Blanche du Kansas. J’ai été élevé par un grand-père blanc qui a survécu à la grande Dépression puis a servi dans l’armée de Patton pendant la Seconde Guerre Mondiale et par une grand-mère blanche qui a travaillé dans une usine de bombardiers à Fort Leavenworth pendant que lui était de l'autre côté de l'océan. Je suis allé dans des écoles parmi les meilleures d’Amérique et vécu dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Je suis marié à une Noire américaine qui porte en elle le sang d’esclaves et de propriétaires d’esclaves – un héritage que nous avons transmis à nos deux filles bien-aimées. J’ai des frères, des sœurs, des nièces, des neveux, des oncles et des cousins, de toutes les races et de toutes les couleurs, répartis sur trois continents et, jusqu’à la fin de mes jours, je n’oublierai jamais que, dans aucun autre pays sur Terre, mon histoire ne serait même possible.

C’est une histoire qui n’a pas fait de moi le candidat le plus conventionnel. Mais c’est une histoire qui a inscrit jusque dans mes gènes l’idée que cette nation est plus que la somme de ses composantes – qu'à partir de beaucoup nous formons vraiment un tout unique.

Pendant toute la première année de cette campagne, et cela en dépit de toutes les prédictions contraires, nous avons vu à quel point le peuple américain soutenait ce message d’unité. Malgré la tentation de voir ma candidature à travers un prisme purement racial, nous avons remporté d’impressionnantes victoires dans des états dont la population était parmi les plus blanches du pays. En Caroline du Sud, où le drapeau confédéré flotte encore, nous avons bâti une puissante coalition entre des Afro-américains et des Américains blancs.

Cela ne le veut pas dire que la question raciale n’a pas émergé dans la campagne. À plusieurs stades de la campagne, des commentateurs m’ont jugé soit «trop noir» soit «pas assez noir». Nous avons vu des tensions raciales remonter à la surface durant la semaine précédant la primaire en Caroline du sud. La presse a épluché chaque sondage de sortie des urnes pour trouver des preuves d’une polarisation raciale, qui opposerait non seulement les Blancs aux Noirs, mais aussi les Noirs aux basanés. Et, pourtant, ce n’est que ces dernières semaines que, dans cette campagne, le débat racial a pris un tour particulièrement polarisant.

À un bout du spectre, nous avons entendu dire implicitement que ma candidature était d’une certaine manière un exercice de discrimination positive ; qu’elle était fondée seulement sur le désir de libéraux naïfs de s’acheter une réconciliation raciale pour pas cher. À l’autre bout, nous avons entendu mon ancien pasteur, le révérend Jeremiah Wright, utiliser un langage incendiaire pour exprimer des opinions qui peuvent non seulement accroître le fossé racial, mais aussi des opinions qui dénigrent à la fois la grandeur et la bonté de notre nation ; qui offensent tout aussi bien les Blancs que les Noirs. J’ai déjà condamné en des termes non équivoques les déclarations du révérend Wright qui ont causé tant de controverses.

Pour certains, des questions agaçantes demeurent. Est-ce que je savais qu’il avait été occasionnellement un critique virulent de la politique intérieure et étrangère de l’Amérique ? Bien sûr. L’ai-je déjà entendu faire des remarques qui peuvent être considérées comme sujettes à controverse alors que je me trouvais dans son église ? Oui. Étais-je en profond désaccord avec nombre de ses positions politiques ? Absolument – de la même façon que je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont entendu des remarques de vos pasteurs, prêtres ou rabbins avec lesquelles vous étiez en profond désaccord.

Mais les remarques qui ont causé la récente levée de bouclier n’étaient pas simplement sujettes à controverse. Elles ne représentaient pas simplement l’effort d’un leader religieux pour s’élever contre ce qu’il percevait comme une injustice. Elles exprimaient une idée profondément fausse de notre pays – l'idée selon laquelle le racisme blanc serait endémique et qui met tout ce qu'il ya de mal en Amérique au dessus de tout ce que nous savons être bien en Amérique ; une idée selon laquelle les conflits au Moyen-Orient trouveraient leur origine principale dans les actions d’alliés solides comme Israël, et non dans des idéologies perverses et haineuses de l’Islam radical.

En tant que tels, les commentaires du révérend Wright n’étaient pas seulement faux : ils cherchaient à diviser, à un moment où nous avons tant besoin d’unité ; ils avaient une connotation raciale, à un moment où nous avons besoin de nous rassembler pour résoudre une série de problèmes monumentaux – deux guerres, une menace terroriste, une économie qui chute, une crise chronique du système de santé et un changement climatique potentiellement dévastateur ; des problèmes qui ne sont ni noirs, ni blancs, ni latinos, ni asiatiques, mais plutôt des problèmes qui nous concernent tous.

lire le discours en entier, en langue française

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4 novembre 2008

"Vichy" - Vichy et la politique migratoire

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"Vichy" / Vichy

ou la malheureuse métonymie

Michel RENARD


"Soyez maudits jusqu'à la septième génération" aurait lancé à ses tourmenteurs Jacques de Molay, le maître de l'Ordre du Temple, le 19 mars 1314 au moment de monter sur le bûcher. En irait-il de même pour la ville de Vichy ? Maudite jusqu'à la septième génération, ou plus encore ?

Le régime pétainiste de l'État français a pourtant été jugé, son idéologie dénoncée, son racisme et son antisémitisme flétris, ses responsables condamnés après 1944. Pourquoi la sous-préfecture, et deuxième ville de l'Allier par sa population, qui n'a pas choisi d'abriter la capitale de l'État français en 1940, porterait-elle l'opprobre aujourd'hui encore ?

Tout le monde sait les raisons qui ont conduit le gouvernement du maréchal Pétain à s'installer dans la ville thermale : l'importance de l'infrastructure hôtelière, la relative proximité de Paris, l'existence du central téléphonique moderne de l'hôtel des Postes... Les habitants n'ont pas accueilli le régime du maréchal plus favorablement qu'une quelconque autre ville française. Après guerre, ils ne se sont pas montrés attachés à la "Révolution nationale" que la Libération venait de renverser.

La facilité langagière qui consiste à nommer Vichy le régime pétainiste, toute sa politique et toute la période de la Collaboration entre 1940 et 1944, a ses limites. On ne devrait souffrir de cette métonymie soixante après. Ou alors faudrait-il en aller de même avec Bordeaux, capitale de toutes les défaites (1870, 1914, 1940), avec Lyon où officia Barbie, avec Paris qui vit la rafle du Vel d'Hiv et dont les bâtiments administratifs et les hôtels furent occupés en grand nombre par les autorités nazies...

La ville de Vichy devrait donc pouvoir accueillir une réunion politique ministérielle, européenne ou autre, sans que celle-ci soit "plombée" par le souvenir de "Vichy, 1940-1944". C'est le sentiment qu'a exprimé la secrétaire d'État à la Ville.

En effet, selon l'AFP (4 novembre), Fadela Amara "trouve dégueulasse" de continuer à traiter la ville de Vichy, où se tient lundi et mardi la conférence ministérielle européenne sur l'intégration, en "pestiférée". "Je trouve dégueulasse", a affirmé mardi sur I Télé Fadela Amara qui était hier à Vichy, "de vouloir rendre la ville de Vichy comme pestiférée de notre histoire".

Par ailleurs, qualifier toute tentative de politique migratoire de "raciste", de "ségrégationniste", venir manifester en habits rayés évoquant les déportés concentrationnaires, tout cela relève du même mésusage des références historiques. Cela ne vaut pas mieux que le slogan "CRS = SS" de 1968.

On récolte le fruit d'un affaissement de l'enseignement de l'histoire, d'une réduction du choix politique à un binôme simpliste (gentil/méchant), de la légèreté avec laquelle on a adjectivé le terme citoyen pour l'étendre à n'importe quelle activité ou situation ("école citoyenne" et autres désinvoltures), de la mécompréhension des épisodes vraiment tragiques de l'histoire du XXe siècle dont on annonce la réédition à chaque campagne propagandiste sans aucun souci de responsabilité politique.

Détecter dans toute politique de droite (sans parler de l'extrême-droite) un syndrome fascisant ou pétainisant est non seulement une paresse de l'esprit devant l'exigence d'avoir à penser le nouveau, mais aussi une insouciance coupable devant les vrais devoirs de mémoire. Cette dernière formule commence à m'indisposer tellement elle sert et contre-sert, car si elle était réellement réfléchie, on ne divaguerait pas ainsi. On ne dirait pas  que la conférence de Vichy est vichyste. Le passé ne serait plus ce réservoir d'incriminations dans lequel on puise sans aucun respect de l'intelligibilité historique.

Michel Renard

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iconographie des mésusages du passé historique


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les parallèles pseudo-historiques d'une mauvaise propagande


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la lepénisation puis l'hitlérisation de Nicolas Sarkozy sont des hyperboles imbéciles
qui finissent par méjuger les références historiques qu'elles utilisent en les rendant 
indéchiffrables

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manifestants contre la politique migratoire européenne :
le fait politique n'est plus analysé mais seulement stigmatisé à l'excès


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28 octobre 2008

"faire exploser l'identité française"...

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"faire exploser l'identité française"...

le projet politique des "Indigènes de la République"


Né en janvier 2005, le mouvement dit des "Indigènes de la République" intervient en politique en mobilisant les catégories du passé colonial de la France et en affirmant que les "discriminations" qui affectent différentes couches de la population sont la redondance de l'injustice et des inégalités coloniales.
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nationalité française et identité française

Plus encore, il porte un discours d'hostilité à l'égard de l'identité française qui dépasse de loin les reproches relatifs aux "discriminations". Jérémy Robine, un doctorant en géopolitique (université Paris VIII) a recueilli les propos de l'animatrice des "Indigènes", Houria Bouteldja [photo ci-contre] pour son article, "les «indigènes de la République» : nation et question post-coloniale", paru dans Hérodote (n° 120, premier trimestre 2006, "la question coloniale" - lire l'article en entier).

On y lit l'imprécation généralisée contre l'identité française, la revendication d'un ailleurs radicalement autre ("on n’est pas sur la même planète, et on ne parle pas avec leurs mots"). Sur ce point, elle a tort, puisque son langage porte l'estampille du vocabulaire et des postures de l'extrême ou de l'ultra-gauche tels qu'on les connaît depuis les années 1960 auxquels se mêlent les références d'un anticolonialisme recyclé sans vergogne malgré son anachronisme évident.


je ne revendique pas d’être française

Sur le site des "Indigènes de la République", on peut lire le texte d'une interview de Houria Bouteldja par Chiara Bonfiglioli (Contretemps n° 16, 11 mai 2006), dans laquelle est formulée la distinction entre la nationalité française et l'identité française : "nous Indigènes, on ne veut pas être français. Ce n’est pas notre problème d’être français. Pour moi être française, c’est un hasard. On est français comme on est chinois comme on est italien, ce que tu veux... moi je m’en fous complètement, je ne revendique pas d’être française. Moi je revendique d’être l’égale des autres. Tout en pouvant, pourquoi pas, rester algérienne. Il se trouve que moi je suis française de nationalité" (source).

Ces positions constituent une rupture avec l'héritage de la lutte des immigrés qui, depuis les années 1970, bataillaient pour l'égalité en France et non contre la France - quelle que soit, par ailleurs, la complexité du rapport intime avec l'éventail des éléments constitutifs de l'identité française.

Quant au hasard de la naissance, je suis bien d'accord. Mais la Classe_de_CP__1974_1975____492_Kovie suit la naissance, et qu'elle se déroule dans tel pays ou tel autre n'est pas sans conséquences sur la formation de l'identité d'un individu, sur les cadres culturels et sensibles avec lesquels il appréhende le monde. La vie ne se réduit pas au statut juridique ("l'égalité") des habitants d'un pays. On ne peut donc se foutre de la culture qui vous a institué comme sujet pensant et ressentant.


il n’y a rien à faire dans ce pays

Voici donc le raisonnement de la fondatrice des "Indigènes de la République", recueilli par Jérémy Robine :
"Pourquoi on organise cette première réunion ? Parce qu’on se dit qu’il n’y a rien à faire dans ce pays, c’est-à-dire qu’on n’y croit plus, on ne croit pas à la possibilité même du débat, on ne croit pas à la possibilité d’une alternative politique. On voit une espèce de rouleau compresseur qui va nous passer dessus et dont on sera les premières victimes, on voit un contexte international qui ne va pas arranger les choses, on voit la mise en œuvre de politiques répressives de plus en plus intenses... Et des médias à la botte des politiques d’État, les émissions de télé avec de faux débats, des faux subversifs de la télé française qui sont en fait des propagandistes de la pensée dominante, des débats où sont mis en scène des caricatures, des gens qui sont censés représenter ce que le Français moyen pense que doit être un Arabe, ou un Noir, donc l’imam est une caricature, la fille soumise est une caricature, la fille voilée, la racaille de banlieue... donc on est encastrés dans des identités figées".

J'aimerais savoir ce qu'est une "alternative politique" à une société définie comme "colonialiste"... La lutte anticoloniale a abouti dans les années 1960 à l'indépendance des États qui se sont séparés de la domination (et de la présence) des Européens. Comment cela se traduirait-il en France aujourd'hui ? Le mouvement des "Indigènes de la République" discute, ces derniers temps, de sa transformation en "Parti des indigènes".  Quel type de société, quel type d'identité ce parti "des indigènes" proposerait-il à la France, eux qui se foutent d'être français ?

L'euphémisation qui évoque un "contexte international qui ne va pas arranger les choses" est une dérobade trop simple pour ne pas évoquer les courants régressifs et agressifs de l'islam mondial. Que pensent les "Indigènes de la République" du fondamentalisme musulman ? de l'islam politique ? Les valeurs portées par ces courants constituent-elles des références positives d'un combat pour l'émancipation, pour la justice et la dignité ?


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la place politique des post-coloniaux

Houria Bouteldja : "En ce qui nous concerne, les postcoloniaux, il n’y a pas de place et il n’y en a jamais eu en réalité, pas d’existence politique pour nous. Donc le constat c’est que si on veut se faire une place dans le débat politique, il faut la conquérir, c’est-à-dire faire exactement le contraire de ce qu’a fait Tariq Ramadan, qui pensait qu’on pouvait discuter et débattre. Il pensait qu’on était dans un système qui offre cette possibilité, il pensait qu’on est dans un système démocratique par exemple... Nous, on n’y croit pas, donc on a décidé de promouvoir un projet de rupture politique, donc un projet qui n’est en aucun cas de discuter avec les dominants, de débattre avec eux : on s’adresse aux populations concernées par notre projet. [...] on n’a pas la prétention de faire la révolution. Un discours de rupture donc, qui fait état d’un continuum colonial. On n’est pas les seuls à le dire, nous, on le ressent dans notre intimité, mais il y a des travaux scientifiques. On fait donc une analyse qui est celle du postcolonialisme".

Le confusionnisme continue. D'abord, quels sont ces travaux "scientifiques" qui auraient établi la validité intellectuelle de la catégorie de "postcolonialisme"...? Ils n'existent pas. Le "postcolonialisme" est une référence qui permet à des courants comme l'Achac (Pascal Blanchard, Nicolas Bancel...), promoteur de la "fracture coloniale", de légitimer des revendications de postes à occuper dans l'université française ou des demandes de subventions pour leurs initiatives militantes et/ou commerciales en arguant du fait que les postcolonial studies auraient le vent en poupe dans les autres pays.

Aucun historien sérieux n'a produit de travaux s'appuyant sur l'idée de "postcolonialisme" ; ce sont des "spécialistes en sciences sociales" ou des politologues qui se gargarisent de la notion, c'est tout.

Je renouvelle ma question. Quelle place les "postcoloniaux", définis comme tels, peuvent-ils revendiquer dans le champ politique ? La politique se définit - en tout cas dans l'espace républicain - par l'affrontement de conceptions générales opposant des choix économiques, sociaux, symboliques et culturels... Les "Indigènes de la République" n'en sont pas le moins du monde porteurs. Leur intervention politique ne semble relayer que la tentative "communautariste" de faire éclater le liant national et historique de la France, du moins ce qu'il en reste.



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les frontières "emmerdaient" déjà l'armée allemande quand
elle envahit la Pologne en septembre 1939...

l'État-nation m’emmerde,

Houria Bouteldja : "Les frontières m’emmerdent, l’espace est à tout le monde, on est partout chez soi... L’État-nation m’emmerde, c’est ce qui produit le racisme, pour moi [...], ça crée des frontières, ça homogénéise les populations, sur des bases raciales, ethniques, ou religieuses, et donc, pour la France, ceux qui ne sont pas catholiques, blancs, ils ne sont pas vraiment français. Les juifs par exemple, ils ne sont pas vraiment français : ils sont plus français que les musulmans, mais ils sont dans la périphérie. [...] Nous, ce qu’on veut montrer, c’est qu’il faut que la France repense l’identité française.
L’identité française doit exploser, elle est étriquée aujourd’hui. Il faut repenser la question de la citoyenneté. Le problème c’est qu’en France la nation est ethnique, l’identité est très ethnique. Un Antillais, qui est français depuis quatre cents ans [au plan juridique], eh bien il n’est pas français [au plan de l’identité nationale], parce qu’il est noir. [...] C’est la communauté majoritaire qui donne le la. En périphérie elle est juive, [les juifs] qui ne sont pas tout à fait des Français comme tout le monde, ils auraient tort de le croire, ils ne sont pas réellement considérés comme des Français,
dans l’imaginaire dominant le juif est en périphérie, et ne 1709509700parlons pas des Arabes et des musulmans, ils sont carrément à l’autre bout, là-bas... Je pense qu’aujourd’hui le Français doit accepter sa part arabe, et musulmane... et sa part africaine, antillaise, berbère, et sa part chinoise s’il y a des Chinois... et nous-mêmes, on doit accepter tout ça, je dois accepter ma part chinoise [...] c’est prendre acte de toutes les composantes de la société, c’est la réactualisation de l’identité en fonction des gens qui sont là".

Houria Bouteldja disait, ci-dessus, son souhait de "rester algérienne". C'est son droit. Mais qu'est-ce que l'Algérie aujourd'hui sinon une nation pourvue de frontières au sein desquelles "tout le monde" n'est pas "chez soi" ? Une nation qui se définit, constitutionnellement, par le lien organique avec une religion, l'islam ? Pourquoi donc ce qui serait légitime pour l'Algérie ne le serait-il pas pour la France (à l'exception du lien avec une religion, bien sûr, car la France est laïque) ? Si tout État-nation produit du racisme, il faut appeler à la destruction de toutes les entités politiques de ce genre...

La nation n'est pas "ethnique" en France. Mais elle n'est pas non plus la seule expression d'une appartenance juridique (posséder la nationalité). La France est une nationalité et une identité, en fait des identités liées par une histoire commune. La "réactualisation" est légitime mais à partir de ce qui constitue l'être historique de la France, sinon elle disparaîtrait, libanisée, balkanisée, "explosée"...

Michel Renard

- "faire exploser l'identité française" : vidéo

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la France est une nationalité et une identité

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23 octobre 2008

présentation du livre et des auteurs

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le livre

Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?

et ses auteurs


- le livre est disponible à l'achat en ligne : amazon.fr (mais la photo de couverture n'est pas la bonne) - fnac.fr (mais le titre n'est pas le bon) - alapage.com - decitre.fr - laprocure.com - mollat.com - ombres-blanches.fr - hachette.com - et dans votre librairie habituelle -


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Daniel Lefeuvre

Professeur d'histoire contemporaine, université Saint-Denis/ Paris VIII

auteur de Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006

- liste de ses ouvrages sur cette page

 

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Michel Renard

Professeur d'histoire au lycée Claude Lebois à Saint-Chamond (Loire)

co-auteur de Histoire de l'islam et des musulmans en France du Moyen-Âge à nos jours,

Albin Michel, 2006

___________________________________________________

table des matières

Introduction

1 - Est-il suspect de parler d'identité nationale ?

2 - La France d'avant la Franceph66_tautavel

3 - Jeanne d'Arc était-elle française ?

4 – Identité française et Grande Nation

5 - Faut-il dénationaliser l'histoire de France ?

6 - L'identité nationale et les historiensle_conventionnel_Milhaud

7 - L'identité nationale est-elle toujours de droite ?

8 - Peut-on être français sans parler le français ?

9 – L'immigration est-elle un danger pour l'identité nationale ?

10 – L'islam menace-t-il l'identité nationale ?   

Conclusion

index des noms propres

280 noms d'individus (auteurs, hommes politiques, journalistes...) : cliquer ici

 

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plan d'eau à la Bâtie d'Urfé (Loire)

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22 octobre 2008

aux mythes de la race, opposer les images de la Nation

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aux mythes de la race,

opposer les images de la Nation


Louis ARAGON

L'identité nationale est une image disputée, de la gauche à la droite. Dans cette concurrence des symboles, Aragon avait choisi le combat. Il expliqua au philosophe Georges Politzer – fusillé par les nazis en mai 1942 au Mont-Valérien – sa tentative de "réclamer notre héritage à la fois de l'histoire et des légendes (…) pour se faire entendre des Français" :
"J'expliquai à Politzer le fond de ma pensée, et le plan que je me proposais de développer : aux mythes de la race, opposer les images de la Nation (…). Sans doute, ne peut-on considérer que comme mythiques ces personnages et ces lieux où la fantaisie à l'histoire se mêle et se démêle sans cesse dans une bonne part de notre littérature médiévale, que tous les peuples d'Europe, Allemands en tête, ont pillée. Mais mythiques au sens initial français du mot, qui ne préjuge pas de l'emploi nazi des mythes.
Et si Tristan, le Français Tristan de Laonnois, relève du mythe, et sa lutte contre le Morhaut d'Irlande, et le boire d'amour, et l'histoire des deux Yseult, tout comme Roland, Lancelot, Perceval ou Renaud, il n'en demeure pas moins qu'ils sont de notre héritage et qu'en eux il nous appartient de nous reconnaître, de reconnaître le courage et les hauts faits de la France et de son peuple, d'éclairer ces images anciennes de la réalité moderne de l'héroïsme français. Les mythes remis sur leurs pieds ont force non seulement de faire rêver, mais de faire agir, de donner à l'action et aux songeries de chez nous cette cohésion cette unité qui paraissait alors, en 1941, si hautement désirables. Voilà ce que je dis à Politzer, et que Politzer approuva".

Louis Aragon, En étrange pays dans mon pays lui-même, 1945

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Tristan et Iseult


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Roland


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image de manuel scolaire, 1968

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le cloître roman de Gazolaz, à 6 km de Pampelune (Espagne)


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la brèche de Roland située près de Gavarnie dans le canton de
Luz-Saint-Sauveur, département des Hautes-Pyrénées ;
selon la légende, elle fut ouverte par Roland tentant vainement
de détruire son épée Durandal en la frappant contre la roche


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au fond, la brèche de Roland (source)


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Lancelot


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Enluminure de Manuscrit, fin XIIIe siècle,
Lancelot du lac fait porter un échiquier magique à la Reine Guenièvre


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Perceval



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Gornemant donne à Perceval son épée de chevalier, manuscrit, entre 1275 et 1300


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Perceval, un des chevaliers de la Table Ronde, à la recluserie, manuscrit, XVe siècle

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Renaud de Montauban (les quatre fils Aymon)


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oeuvre du sculpteur Albert Poncin, 1950


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en [ces mythes] il nous appartient

de nous reconnaître,

de reconnaître le courage et les hauts faits

de la France et de son peuple,

d'éclairer ces images anciennes

de la réalité moderne de l'héroïsme français

Louis Aragon


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19 octobre 2008

l’identité de la France (Fernand Braudel)

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l’identité de la France

est incompréhensible s
ans la suite

des événements de son passé

Fernand BRAUDEL


Je crois que le thème de l’identité française s’impose à tout le monde, qu’on soit de gauche, de droite ou du braudelcentre, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite. C’est un problème qui se pose à tous les Français. D’ailleurs, à chaque instant, la France vivante se retourne vers l’histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même. Renseignements qu’elle accepte ou qu’elle n’accepte pas, qu’elle transforme ou auxquels elle se résigne. Mais, enfin, c’est une interrogation pour tout le monde.

II ne s’agit donc pas d’une identité de la France qui puisse être opposée à la droite ou à la gauche. Pour un historien, il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane. Je ne veux pas qu’on s’amuse avec l’identité.


l’accord ou le désaccord avec des réalités profondes

Vous me demandez s’il est possible d’en donner une définition. Oui, à condition qu’elle laisse place à toutes les interprétations, à toutes les interventions. Pour moi, l’identité de la France est incompréhensible si on ne la replace pas dans la suite des événements de son passé, car le passé intervient dans le présent, le "brûle".

C’est justement cet accord du temps présent avec le temps passé qui représenterait pour moi l’identité parfaite, laquelle n’existe pas. Le passé, c’est une série d’expériences, de réalités bien antérieures à vous et moi, mais qui existeront encore dans dix, vingt, trente ans ou même beaucoup plus tard.

Le problème pratique de l’identité dans la vie actuelle, c’est donc l’accord ou le désaccord avec des réalités profondes, le fait d’être attentif, ou pas, à ces réalités profondes et d’avoir ou non une politique qui en tient compte, essaie de modifier ce qui est modifiable, de conserver ce qui doit l’être. C’est une réflexion attentive sur ce qui existe au préalable. Construire l’identité française au gré des fantasmes, des opinions politiques, ça je suis tout à fait contre.

Le premier point important, décisif, c’est l’unité de la France. Comme on dit au temps de la Révolution, la République est "une et indivisible". Et on devrait dire : la France une et indivisible. Or, de plus en plus, on dit, en contradiction avec cette constatation profonde : la France est divisible. C’est un jeu de mots, mais qui me semble dangereux. Parce que la France, ce sont des France différentes qui ont été cousues ensemble. Michelet disait : c’est la France française, c’est-à-dire la France autour de Paris, qui a fini par s’imposer aux différentes France qui, aujourd’hui, constituent l’espace de l’Hexagone.

La France a dépensé le meilleur de ses forces vives à se constituer comme une unité ; elle est en cela comparable à toutes les autres nations du monde. L’oeuvre de la royauté française est une oeuvre de longue haleine pour incorporer à la France des provinces qui pouvaient pencher de notre côté mais avaient aussi des raisons de ne pas désirer être incorporées au royaume. Même la Lorraine en 1766 n’est pas contente de devenir française. Et que dire alors des pays de la France méridionale : ils ont été amenés dans le giron français par la force et ensuite par l’habitude.

II y a donc dans l’identité de la France ce besoin de concentration, de centralisation, contre lequel il est dangereux d’agir. Ce qui vous suggère que je ne vois pas la décentralisation d’un oeil tout à fait favorable. Je ne la crois d’ailleurs pas facile. Je crois que le pouvoir central est tel que, à chaque instant, il peut ramener les régions qui seraient trop égoïstes, trop soucieuses d’elles-mêmes, dans le sens de l’intérêt général. Mais c’est un gros problème.

La seconde chose que je peux vous indiquer, c’est que, dans sa vie économique, de façon curieuse, depuis la première modernité, la France n’a pas su réaliser sa prospérité économique d’ensemble. Elle est toujours en retard, pour son industrialisation, son commerce. Cela pose un problème d’ordre général. Et d’actualité, si cette tendance est toujours valable. Comme si, quel que soit le gouvernement, la France était rétive à une direction d’ordre étatique.

un triomphe culturel, un rayonnement de civilisation

Or la seule raison que je vois qui soit une raison permanente est que l’encadrement capitaliste de la France a braudeltoujours été mauvais. Je ne fais pas l’éloge du capitalisme. Mais la France n’a jamais eu les hommes d’affaires qui auraient pu l’entraîner. Il y a un équipement au sommet, au point de vue capitaliste, qui ne me semble pas parfait. Nous ne sommes pas en Hollande, en Allemagne, aux États-Unis, au Japon. Le capitalisme est avant tout, pour moi, une superstructure et cette superstructure ne réussit pas à discipliner le pays jusqu’à sa base. Tant mieux peut-être ou tant pis, je n’en sais rien. Mais l’inadéquation de la France à la vie économique du monde est un des traits de son identité.

Dernier trait : la France ne réussit pas au point de vue économique ; elle réussit au point de vue politique de façon limitée parce qu’elle triomphe, précisément, dans ses propres limites. Toutes ses sorties en dehors de l’Hexagone se sont terminées de façon malheureuse, mais il y a un triomphe permanent de la vie française, qui est un triomphe culturel, un rayonnement de civilisation.

L’identité de la France, c’est ce rayonnement plus ou moins brillant, plus ou moins justifié. Et ce rayonnement émane toujours de Paris. Il y a aussi une centralisation très ancienne de la culture française. Bien sûr, il existe bien d’autres conditions : triomphe de la langue française, des habitudes françaises, des modes françaises, et, aussi, la présence, dans ce carrefour que la France est en Europe, d’un nombre considérable d’étrangers. Il n’y a pas de civilisation française sans l’accession des étrangers ; c’est comme ça.

Le gros problème dans le monde actuel est de savoir comment la société française réussira ou non à accepter ces tendances et à les défendre si nécessaire ; si vous n’avez pas, par exemple, une politique de rayonnement à l’égard de l’Europe et du monde entier, tant pis pour la culture française.

La langue française est exceptionnellement importante. La France, c’est la langue française. Dans la mesure où elle n’est plus prééminente, comme ce fut le cas aux XVIIIe et XIXe siècles, nous sommes dans une crise de la culture française. Avons-nous les moyens de remonter la pente ? Je n’en suis pas sûr, mais j’ai quelque espoir. L’empire colonial que nous avons perdu est resté fidèle à la langue française. C’est vrai aussi des pays de l’Est, de l’Amérique latine.


une réalité sous-jacente

L’identité française relève-t-elle de nos fantasmes collectifs ? Il y a des fantasmes et il y a autre chose. Si j’ai raison dans ma vision de l’identité française, quels que soient nos pensées, nos fantasmes, il y a une réalité sous-jacente de la culture, de la politique de la société française. J’en suis sûr.

Cette réalité rayonnera ou ne rayonnera pas, mais elle est. Pour aller plus braudelloin, je vous dirai que la France a devant elle des tâches qu’elle devrait considérer avec attention, avec enthousiasme. Elle est devenue toute petite, non parce que son génie s’est restreint, mais en raison de la vitesse des transports d’aujourd’hui. Dans la mesure où, devenue toute petite, elle cherche à s’étendre, à agripper les régions voisines, elle a un devoir : faire l’Europe.

Elle s’y emploie, mais l’Europe s’est accomplie à un niveau beaucoup trop haut. Ce qui compte, c’est de faire l’Europe des peuples et non pas celle des patries, des gouvernements ou des affaires. Et ce ne sera possible que par la générosité et la fraternité.

Le Monde les 24-25 mars 1985,
entretien réalisé par Michel Kajman.

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quels que soient nos pensées, nos fantasmes, il y a une réalité sous-jacente
de la culture (Braudel)  : vieux pont du XVe siècle à Belcastel (Aveyron)


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15 octobre 2008

La Marseillaise sifflée au Stade de France

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La Marseillaise encore sifflée

dans un stade

après avoir été admirablement chantée par Lââm


Une Marseillaise magnifiquement chantée par Lââm qui ne s'est pas laissée intimider par les milliers de sifflets décidés à salir l'hymne national de la France. C'était le mardi 14 octobre 2008 lors du match de football amical entre la France et la Tunisie.

Comme cela avait été le cas lors du match, également amical entre la France et l'Algérie, le 6 octobre 2001, et lors du match entre la France et le Maroc le 16 novembre 2007 (sans oublier le match Bastia-Lorient, en finale de la Coupe de France, le 11 mai 2002).

Face à ces récurrences symptomatiques, certains continuent à faire la politique de l'autruche. Un ancien membre de "l'équipe du pacte présidentiel" de Ségolène Royal en 2007, Claude Bartolone, propose de supprimer les hymnes lors des rencontres de football... Alors que l'année dernière, il approuvait une candidate qui proposait que tous les Français détiennent chez eux, et affichent, le drapeau national, il suggère aujourd'hui de faire disparaître ce même drapeau...


faillite de la politique de transmission
de notre Histoire collective

François Copé, par contre, a exprimé son "incompréhension" devant l'attitude de "certains jeunes Français qui ne se reconnaissent pas dans la France, dans ses valeurs et qui finissent par siffler l'hymne de leur pays. C'est le symptôme d'une certaine faillite de notre politique d'intégration, de la politique de transmission de notre Histoire collective". D'accord. Mais pourquoi, dans ce cas, envisager de se débarrasser de l'histoire-géographie dans les classes de Première et de Terminale au lycée...?

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Lââm chantant La Marseillaise au Stade de France, le 14 octobre 2008

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Lââm chantant La Marseillaise au Stade de France, le 14 octobre 2008

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Lââm chantant La Marseillaise au Stade de France, le 14 octobre 2008

Il faut remarquer que ne sont en cause ni "les" Algériens, ni "les" Marocains, ni "les" Tunisiens en général mais des individus issus de ces pays, habitant en France et, probablement Français pour le plus grand nombre. Parmi ces derniers, un tel comportement est loin d'être partagé ; il engendre même de la honte. Pas de généralisation, donc.

On dira cependant notre désaccord avec le propos tenu par Lââm, interviewée au lendemain des incidents et disant, en substance, qu'il faut aller voir en banlieue ces jeunes qui n'ont rien et qui ne sont pas intégrés. Ce n'est pas vrai qu'on n'ait rien en banlieue. Il y a toujours l'école, les installations sportives, les services sociaux, le professionnalisme de leurs agents et le dévouement de nombreuses bonnes volontés...

Désaccord aussi avec Pierre Haski du site Rue89, qui croit lire dans ces événements un effet du "débat faussé sur l'identité nationale" (...!). Abusant de la thématique victimaire, il écrit : "On ne peut pas stigmatiser et mépriser en permanence et ne pas en récolter les fruits de temps en temps. Sous la forme extrême d'émeutes, ou celle, soft, de sifflets symboliques". Mais où donc s'expriment cette "stigmatisation" et ce "mépris" permanents ? Parler d'identité nationale, est-ce du mépris dans l'esprit de Pierre Haski ?

Deux questions restent posées : 1) une partie de cette jeunesse issue d'immigrations principalement maghrébines a-t-elle le désir de s'intégrer à la culture et aux valeurs françaises ? (certains de ses porte-parole "communautaro-religieux" disent non, explicitement non) 2) l'État et ses institutions veulent-ils toujours, comme c'est la tradition française, "assimiler" les immigrés ? veulent-ils assumer l'héritage historique de notre pays et sa mise en valeur ?

Lââm est une chanteuse française née à Paris, en 1971, dans une famille d'origine tunisienne. Son interprétation de La Marseillaise au milieu d'un stade massivement hostile fait honneur à un chant qui a su affronter l'adversité et susciter l'espérance. La Marseillaise se remettra de ces sifflets. Mais le sentiment de cohésion d'une nation autour de valeurs communes fait défaut. Le "consentement actuel, le désir de vivre ensemble" (Renan) semblent assez lâches. Il est temps de "réapprendre la France" (Jean Paulhan, 1939). De la réapprendre à tous (1).

Michel Renard

Identit__nationale_couv_d_f(1) De la réapprendre aux joueurs de l'équipe nationale, pour commencer..., eux qui remuent à peine les lèvres sans que n'en sorte aucune parole de l'hymne...



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         sifflets contre La Marseillaise
; il est temps de réapprendre la France à tous.


* plusieurs enregistrements de cette Marseillaise sont disponibles :

- http://www.leblogtvnews.com/article-23751393.html

- http://www.news-de-stars.com/l%E2%E2m/laam-interprete-la-marseillaise-sous-les-sifflets-lors-de-france-tunisie_art9162.html

- http://top-news.fr/video-la-marseillaise-de-laam-siffle-pour-france-tunisie/


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Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?, un livre de Daniel Lefeuvre et Michel Renard, à paraître en librairie le 3 novembre 2008 (éditions Larousse, collection "à dire vrai" dirigée par Jacques Marseille)

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2 octobre 2008

Qu'est-ce qu'une nation ? (texte intégral), Ernest Renan, 1882

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texte intégral de la conférence

faite en Sorbonne, le 11 mars 1882

par Ernest Renan

Qu'est-ce qu'une nation ?


Je me propose d'analyser avec vous une idée, claire en apparence, mais qui prête aux plus dangereux malentendus. Les formes de la société humaine sont des plus variées. Les grandes agglomérations d'hommes à la façon de la Chine, de l'Égypte, de la plus ancienne Babylonie ; - la tribu à la façon des Hébreux, des Arabes ; - la cité à la façon d'Athènes et de Sparte ; - les réunions de pays divers à la manière de l'Empire carlovingien ; - les communautés sans patrie, maintenues par le lien religieux, comme sont celles des israélites, des parsis ; - les nations comme la France, l'Angleterre et la plupart des modernes autonomies européennes ; - les confédérations à la façon de la Suisse, de l'Amérique ; - des parentés comme celles que la race, ou plutôt la langue, établit entre les différentes branches de Germains, les différentes branches de Slaves ; - voilà des modes de groupements qui tous existent, ou bien ont existé, et qu'on ne saurait confondre les uns avec les autres sans les plus sérieux inconvénients.

À l'époque de la Révolution française, on croyait que les institutions de petites villes indépendantes, telles que Sparte et Rome, pouvaient s'appliquer à nos grandes nations de trente à quarante millions d'âmes. De nos jours, on commet une erreur plus grave : on confond la race avec la nation, et l'on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques une souveraineté analogue à celle des peuples réellement existants. Tâchons d'arriver à quelque précision en ces questions difficiles, où la moindre confusion sur le sens des mots, à l'origine du raisonnement, peut produire à la fin les plus funestes erreurs. Ce que nous allons faire est délicat ; c'est presque de la vivisection ; nous allons traîter les vivants comme d'ordinaire on traite les morts. Nous y mettrons la froideur, l'impartialité la plus absolue.


I

Depuis la fin de l'Empire romain, ou, mieux, depuis la dislocation de l'Empire de Charlemagne, l'Europe occidentale nous apparaît divisée en nations, dont quelques-unes, à certaines époques, ont cherché à exercer une hégémonie sur les autres, sans jamais y réussir d'une manière durable. Ce que n'ont pu Charles-Quint, Louis XIV, Napoléon Ier, personne probablement ne le pourra dans l'avenir. L'établissement d'un nouvel Empire romain ou d'un nouvel Empire de Charlemagne est devenu une impossibilité. La division de l'Europe est trop grande pour qu'une tentative de domination universelle ne provoque pas très vite une coalition qui fasse rentrer la nation ambitieuse dans ses bornes naturelles. Une sorte d'équilibre est établi pour longtemps. La France, l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie seront encore, dans des centaines d'années, et malgré les aventures qu'elles auront courues, des individualités historiques, les pièces essentielles d'un damier, dont les cases varient sans cesse d'importance et de grandeur, mais ne se confondent jamais tout à fait.

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l'antique Chaldée ne fut jamais une nation

Les nations, entendues de cette manière, sont quelque chose d'assez nouveau dans l'histoire. L'antiquité ne les connut pas ; l'Égypte, la Chine, l'antique Chaldée ne furent à aucun degré des nations. C'étaient des troupeaux menés par un fils du Soleil, ou un fils du Ciel. Il n'y eut pas de citoyens égyptiens, pas plus qu'il n'y a de citoyens chinois. L'antiquité classique eut des républiques et des royautés municipales, des confédérations de républiques locales, des empires ; elle n'eut guère la nation au sens où nous la comprenons. Athènes, Sparte, Sidon, Tyr sont de petits centres d'admirable patriotisme ; mais ce sont des cités avec un territoire relativement restreint. La Gaule, l'Espagne, l'Italie, avant leur absorption dans l'Empire romain, étaient des ensembles de peuplades, souvent liguées entre elles, mais sans institutions centrales, sans dynasties. L'Empire assyrien, l'Empire persan, l'Empire d'Alexandre ne furent pas non plus des patries. Il n'y eut jamais de patriotes assyriens ; l'Empire persan fut une vaste féodalité. Pas une nation ne rattache ses origines à la colossale aventure d'Alexandre, qui fut cependant si riche en conséquences pour l'histoire générale de la civilisation.

L'Empire romain fut bien plus près d'être une patrie. En retour de l'immense bienfait de la cessation des guerres, la domination romaine, d'abord si dure, fut bien vite aimée. Ce fut une grande association, synonyme d'ordre, de paix et de civilisation. Dans les derniers temps de l'Empire, il y eut, chez les âmes élevées, chez les évêques éclairés, chez les lettrés, un vrai sentiment de “la paix romaine”, opposée au chaos menaçant de la barbarie. Mais un empire, douze fois grand comme la France actuelle, ne saurait former un État dans l'acception moderne. La scission de l'Orient et de l'Occident était inévitable. Les essais d'un empire gaulois, au IIIe siècle, ne réussirent pas. C'est l'invasion germanique qui introduisit dans le monde le principe qui, plus tard, a servi de base à l'existence des nationalités.

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grandes invasions du Ve siècle

Que firent les peuples germaniques, en effet, depuis leurs grandes invasions du Ve siècle jusqu'aux dernières conquêtes normandes au Xe ? Ils changèrent peu le fond des races ; mais ils imposèrent des dynasties et une aristocratie militaire à des parties plus ou moins considérables de l'ancien Empire d'Occident, lesquelles prirent le nom de leurs envahisseurs. De là une France, une Burgondie, une Lombardie ; plus tard, une Normandie. La rapide prépondérance que prit l'empire franc refait un moment l'unité de l'Occident ; mais cet empire se brise irrémédiablement vers le milieu du IXe siècle ; le traité de Verdun trace des divisions immuables en principe, et dès lors la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne s'acheminent, par des voies souvent détournées et à travers mille aventures, à leur pleine existence nationale, telle que nous la voyons s'épanouir aujourd'hui.
Qu'est-ce qui caractérise, en effet, ces différents États ? C'est la fusion des populations qui les composent. Dans les pays que nous venons d'énumérer, rien d'analogue à ce que vous trouverez en Turquie, où le Turc, le Slave, le Grec, l'Arménien, l'Arabe, le Syrien, le Kurde sont aussi distincts aujourd'hui qu'au jour de la conquête.

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statue du baptême de Clovis

Deux circonstances essentielles contribuèrent à ce résultat. D'abord le fait que les peuples germaniques adoptèrent le christianisme dès qu'ils eurent des contacts un peu suivis avec les peuples grecs et latins. Quand le vainqueur et le vaincu sont de la même religion, ou plutôt, quand le vainqueur adopte la religion du vaincu, le système turc, la distinction absolue des hommes d'après la religion, ne peut plus se produire. La seconde circonstance fut, de la part des conquérants, l'oubli de leur propre langue. Les petits-fils de Clovis, d'Alaric, de Gondebaud, d'Alboïn, de Rollon, parlaient déjà roman. Ce fait était lui-même la conséquence d'une autre particularité importante ; c'est que les Francs, les Burgondes, les Goths, les Lombards, les Normands avaient très peu de femmes de leur race avec eux. Pendant plusieurs générations, les chefs ne se marient qu'avec des femmes germaines ; mais leurs concubines sont latines, les nourrices des enfants sont latines ; toute la tribu épouse des femmes latines ; ce qui fit que la lingua francica, la lingua gothica n'eurent, depuis l'établissement des Francs et des Goths en terres romaines, que de très courtes destinées.

Il n'en fut pas ainsi en Angleterre ; car l'invasion anglo-saxonne avait sans doute des femmes avec elle ; la population bretonne s'enfuit, et, d'ailleurs, le latin n'était plus, ou même, ne fut jamais dominant dans la Bretagne. Si on eût généralement parlé gaulois dans la Gaule, au Ve siècle, Clovis et les siens n'eussent pas abandonné le germanique pour le gaulois.

De là ce résultat capital que, malgré l'extrême violence des moeurs des envahisseurs germains, le moule qu'ils imposèrent devint, avec les siècles, le moule même de la nation. France devint très légitimement le nom d'un pays où il n'était entrée qu'une imperceptible minorité de Francs. Au Xe siècle, dans les premières chansons de geste, qui sont un miroir si parfait de l'esprit du temps, tous les habitants de la France sont des Français. L'idée d'une différence de races dans la population de la France, si évidente chez Grégoire de Tours, ne se présente à aucun degré chez les écrivains et les poètes français postérieurs à Hugues Capet. La différence du noble et du vilain est aussi accentuée que possible ; mais la différence de l'un à l'autre n'est en rien une différence ethnique ; c'est une différence de courage, d'habitudes et d'éducation transmise héréditairement ; l'idée que l'origine de tout cela soit une conquête ne vient à personne.

Le faux système d'après lequel la noblesse dut son origine à un privilège conféré par le roi pour de grands services rendus à la nation, si bien que tout noble est un anobli, ce système est établi comme un dogme dès le XIIIe siècle. La même chose se passa à la suite de presque toutes les conquêtes normandes. Au bout d'une ou deux générations, les envahisseurs normands ne se distinguaient plus du reste de la population ; leur influence n'en avait pas moins été profonde ; ils avaient donné au pays conquis une noblesse, des habitudes militaires, un patriotisme qu'il n'avait pas auparavant.

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l'oubli, facteur de la création d'une nation

L'oubli, et je dirai même l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation, et c'est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger. L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. L'unité se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la France du Midi a été le résultat d'une extermination et d'une terreur continuée pendant près d'un siècle. Le roi de France, qui est, si j'ose le dire, le type idéal d'un cristallisateur séculaire ; le roi de France, qui a fait la plus parfaite unité nationale qu'il y ait ; le roi de France, vu de trop près, a perdu son prestige ; la nation qu'il avait formée l'a maudit, et, aujourd'hui, il n'y a que les esprits cultivés qui sachent ce qu'il valait et ce qu'il a fait.

C'est par le contraste que ces grandes lois de l'histoire de l'Europe occidentale deviennent sensibles. Dans l'entreprise que le roi de France, en partie par sa tyrannie, en partie par sa justice, a si admirablement menée à terme, beaucoup de pays ont échoué. Sous la couronne de saint Étienne, les Magyars et les Slaves sont restés aussi distincts qu'ils l'étaient il y a huit cents ans. Loin de fondre les éléments divers de ses domaines, la maison de Habsbourg les a tenus distincts et souvent opposés les uns aux autres. En Bohême, l'élément tchèque et l'élément allemand sont superposés comme l'huile et l'eau dans un verre. La politique turque de la séparation des nationalités d'après la religion a eu de bien plus graves conséquences : elle a causé la ruine de l'Orient. Prenez une ville comme Salonique ou Smyrne, vous y trouverez cinq ou six communautés dont chacune a ses souvenirs et qui n'ont entre elles presque rien en commun.

Or l'essence d'une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s'il est burgonde, alain, taïfale, visigoth ; tout citoyen français doit avoir oublié la Saint-Barthélemy, les massacres du Midi au XIIIe siècle. Il n'y a pas en France dix familles qui puissent fournir la preuve d'une origine franque, et encore une telle preuve serait-elle essentiellement défectueuse, par suite de mille croisements inconnus qui peuvent déranger tous les systèmes des généalogistes.

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place de la Nation, à Paris : aucun citoyen français ne sait s'il est burgonde ou visigoth

La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens. Tantôt l'unité a été réalisée par une dynastie, comme c'est le cas pour la France ; tantôt elle l'a été par la volonté directe des provinces, comme c'est le cas pour la Hollande, la Suisse, la Belgique ; tantôt par un esprit général, tardivement vainqueur des caprices de la féodalité, comme c'est le cas pour l'Italie et l'Allemagne. Toujours une profonde raison d'être a présidé à ces formations. Les principes, en pareils cas, se font jour par les surprises les plus inattendues. Nous avons vu, de nos jours, l'Italie unifiée par ses défaites, et la Turquie démolie par ses victoires. Chaque défaite avançait les affaires de l'Italie ; chaque victoire perdait la Turquie ; car l'Italie est une nation, et la Turquie, hors de l'Asie Mineure, n'en est pas une. C'est la gloire de la France d'avoir, par la Révolution française, proclamé qu'une nation existe par elle-même. Nous ne devons pas trouver mauvais qu'on nous imite. Le principe des nations est le nôtre.

Mais qu'est-ce donc qu'une nation ? Pourquoi la Hollande est-elle une nation, tandis que le Hanovre ou le grand-duché de Parme n'en sont pas une ? Comment la France persiste-t-elle à être une nation, quand le principe qui l'a créée a disparu ? Comment la Suisse, qui a trois langues, deux religions, trois ou quatre races, est-elle une nation, quand la Toscane, par exemple, qui est si homogène, n'en est pas une ? Pourquoi l'Autriche est-elle un État et non pas une nation ? En quoi le principe des nationalités diffère-t-il du principe des races ? Voilà des points sur lesquels un esprit réfléchi tient à être fixé, pour se mettre d'accord avec lui-même. Les affaires du monde ne se règlent guère par ces sortes de raisonnements ; mais les hommes appliqués veulent porter en ces matières quelque raison et démêler les confusions où s'embrouillent les esprits superficiels.

II

À entendre certains théoriciens politiques, une nation est avant tout une dynastie, représentant une ancienne conquête, conquête acceptée d'abord, puis oubliée par la masse du peuple. Selon les politiques dont je parle, le groupement de provinces effectué par une dynastie, par ses guerres, par ses mariages, par ses traités, finit avec la dynastie qui l'a formé. Il est très vrai que la plupart des nations modernes ont été faites par une famille d'origine féodale, qui a contracté mariage avec le sol et qui a été en quelque sorte un noyau de centralisation. Les limites de la France en 1789 n'avaient rien de naturel ni de nécessaire. La large zone que la maison capétienne avait ajoutée à l'étroite lisière du traité de Verdun fut bien l'acquisition personnelle de cette maison. À l'époque où furent faites les annexions, on n'avait l'idée ni des limites naturelles, ni du droit des nations, ni de la volonté des provinces. La réunion de l'Angleterre, de l'Irlande et de l'Écosse fut de même un fait dynastique. L'Italie n'a tardé si longtemps à être une nation que parce que, parmi ses nombreuses maisons régnantes, aucune, avant notre siècle, ne se fit le centre de l'unité. Chose étrange, c'est à l'obscure île de Sardaigne, terre à peine italienne, qu'elle a pris un titre royal. La Hollande, qui s'est créée elle-même, par un acte d'héroïque résolution, a néanmoins contracté un mariage intime avec la maison d'Orange, et elle courrait de vrais dangers le jour où cette union serait compromise.

Une telle loi, cependant, est-elle absolue ? Non, sans doute. La Suisse et les États-Unis, qui se sont formés comme des conglomérats d'additions successives, n'ont aucune base dynastique. Je ne discuterai pas la question en ce qui concerne la France. Il faudrait avoir le secret de l'avenir. Disons seulement que cette grande royauté française avait été si hautement nationale, que, le lendemain de sa chute, la nation a pu tenir sans elle. Et puis le XVIIIe siècle avait changé toute chose. L'homme était revenu, après des siècles d'abaissement, à l'esprit antique, au respect de lui-même, à l'idée de ses droits. Les mots de patrie et de citoyen avaient repris leur sens. Ainsi a pu s'accomplir l'opération la plus hardie qui ait été pratiquée dans l'histoire, opération que l'on peut comparer à ce que serait, en physiologie, la tentative de faire vivre en son identité première un corps à qui l'on aurait enlevé le cerveau et le coeur.

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traduction française de la Déclaration

d'indépendance américaine

Il faut donc admettre qu'une nation peut exister sans principe dynastique, et même que des nations qui ont été formées par des dynasties peuvent se séparer de cette dynastie sans pour cela cesser d'exister. Le vieux principe qui ne tient compte que du droit des princes ne saurait plus être maintenu ; outre le droit dynastique, il y a le droit national. Ce droit national, sur quel critérium le fonder ? à quel signe le connaître ? de quel fait tangible le faire dériver ?

I. - De la race, disent plusieurs avec assurance. Les divisions artificielles, résultant de la féodalité, des mariages princiers, des congrès de diplomates, sont caduques. Ce qui reste ferme et fixe, c'est la race des populations. Voilà ce qui constitue un droit, une légitimité. La famille germanique, par exemple, selon la théorie que j'expose, a le droit de reprendre les membres épars du germanisme, même quand ces membres ne demandent pas à se rejoindre. Le droit du germanisme sur telle province est plus fort que le droit des habitants de cette province sur eux-mêmes. On crée ainsi une sorte de droit primordial analogue à celui des rois de droit divin ; au principe des nations on substitue celui de l'ethnographie. C'est là une très grande erreur, qui, si elle devenait dominante, perdrait la civilisation européenne. Autant le principe des nations est juste et légitime, autant celui du droit primordial des races est étroit et plein de danger pour le véritable progrès.

Dans la tribu et la cité antiques, le fait de la race avait, nous le reconnaissons, une importance de premier ordre. La tribu et la cité antiques n'étaient qu'une extension de la famille. À Sparte, à Athènes, tous les citoyens étaient parents à des degrés plus ou moins rapprochés. Il en était de même chez les Beni-Israël ; il en est encore ainsi dans les tribus arabes. D'Athènes, de Sparte, de la tribu israélite, transportons-nous dans l'Empire romain. La situation est tout autre. Formée d'abord par la violence, puis maintenue par l'intérêt, cette grande agglomération de villes, de provinces absolument différentes, porte à l'idée de race le coup le plus grave. Le christianisme, avec son caractère universel et absolu, travaille plus efficacement encore dans le même sens. Il contracte avec l'Empire romain une alliance intime, et, par l'effet de ces deux incomparables agents d'unification, la raison ethnographique est écartée du gouvernement des choses humaines pour des siècles.

saints
l'alliance intime du christianisme et de l'Empire romain

L'invasion des barbares fut, malgré les apparences, un pas de plus dans cette voie. Les découpures de royaumes barbares n'ont rien d'ethnographique ; elles sont réglées par la force ou le caprice des envahisseurs. La race des populations qu'ils subordonnaient était pour eux la chose la plus indifférente. Charlemagne refit à sa manière ce que Rome avait déjà fait : un empire unique composé des races les plus diverses ; les auteurs du traité de Verdun, en traçant imperturbablement leurs deux grandes lignes du nord au sud, n'eurent pas le moindre souci de la race des gens qui se trouvaient à droite ou à gauche. Les mouvements de frontière qui s'opérèrent dans la suite du Moyen Âge furent aussi en dehors de toute tendance ethnographique. Si la politique suivie de la maison capétienne est arrivée à grouper à peu près, sous le nom de France, les territoires de l'ancienne Gaule, ce n'est pas là un effet de la tendance qu'auraient eue ces pays à se rejoindre à leurs congénères. Le Dauphiné, la Bresse, la Provence, la Franche-Comté ne se souvenaient plus d'une origine commune. Toute conscience gauloise avait péri dès le IIe siècle de notre ère, et ce n'est que par une vue d'érudition que, de nos jours, on a retrouvé rétrospectivement l'individualité du caractère gaulois.

La considération ethnographique n'a donc été pour rien dans la constitution des nations modernes. La France est celtique, ibérique, germanique. L'Allemagne est germanique, celtique et slave. L'Italie est le pays où l'ethnographie est la plus embarrassée. Gaulois, Étrusques, Pélasges, Grecs, sans parler de bien d'autres éléments, s'y croisent dans un indéchiffrable mélange. Les îles Britanniques, dans leur ensemble, offrent un mélange de sang celtique et germain dont les proportions sont singulièrement difficiles à définir.

La vérité est qu'il n'y a pas de race pure et que faire reposer la politique sur l'analyse ethnographique, c'est la faire porter sur une chimère. Les plus nobles pays, l'Angleterre, la France, l'Italie, sont ceux où le sang est le plus mêlé. L'Allemagne fait-elle à cet égard une exception ? Est-elle un pays germanique pur ? Quelle illusion ! Tout le Sud a été gaulois. Tout l'Est, à partir d'Elbe, est slave. Et les parties que l'on prétend réellement pures le sont-elles en effet ? Nous touchons ici à un des problèmes sur lesquels il importe le plus de se faire des idées claires et de prévenir les malentendus.

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la "race" des historiens (ci-dessus rois de la "première race", les Mérovingiens)
n'est pas la "race" des anthropologistes

Les discussions sur les races sont interminables, parce que le mot race est pris par les historiens philologues et par les anthropologistes physiologistes dans deux sens tout à fait différents. Pour les anthropologistes, la race a le même sens qu'en zoologie ; elle indique une descendance réelle, une parenté par le sang. Or l'étude des langues et de l'histoire ne conduit pas aux mêmes divisions que la physiologie. Les mots des brachycéphales, de dolichocéphales n'ont pas de place en histoire ni en philologie. Dans le groupe humain qui créa les langues et la discipline aryennes, il y avait déjà des brachycéphales et des dolichocéphales. Il en faut dire autant du groupe primitif qui créa les langues et l'institution dites sémitiques. En d'autres termes, les origines zoologiques de l'humanité sont énormément antérieures aux origines de la culture, de la civilisation, du langage. Les groupes aryen primitif, sémitique primitif, touranien primitif n'avaient aucune unité physiologique. Ces groupements sont des faits historiques qui ont eu lieu à une certaine époque, mettons il y a quinze ou vingt mille ans, tandis que l'origine zoologique de l'humanité se perd dans des ténèbres incalculables.

Ce qu'on appelle philologiquement et historiquement la race germanique est sûrement une famille bien distincte dans l'espèce humaine. Mais est-ce là une famille au sens anthropologique ? Non, assurément. L'apparition de l'individualité germanique dans l'histoire ne se fait que très peu de siècles avant Jésus-Christ. Apparemment les Germains ne sont pas sortis de terre à cette époque. Avant cela, fondus avec les Slaves dans la grande masse indistincte des Scythes, ils n'avaient pas leur individualité à part.

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Un Anglais est bien un type dans l'ensemble de l'humanité. Or le type de ce qu'on appelle très improprement la race anglo-saxonne n'est ni le Breton du temps de César, ni l'Anglo-Saxon de Hengist, ni le Danois de Knut, ni le Normand de Guillaume le Conquérant ; c'est la résultante de tout cela. Le Français n'est ni un Gaulois, ni un Franc, ni un Burgonde. Il est ce qui est sorti de la grande chaudière où, sous la présidence du roi de France, ont fermenté ensemble les éléments les plus divers. Un habitant de Jersey ou de Guernesey ne diffère en rien, pour les origines, de la population normande de la côte voisine. Au XIe siècle, l'oeil le plus pénétrant n'eût pas saisi des deux côtés du canal la plus légère différence. D'insignifiantes circonstances font que Philippe-Auguste ne prend pas ces îles avec le reste de la Normandie. Séparées les unes des autres depuis près de sept cents ans, les deux populations sont devenues non seulement étrangères les unes aux autres, mais tout à fait dissemblables. La race, comme nous l'entendons, nous autres, historiens, est donc quelque chose qui se fait et se défait. L'étude de la race est capitale pour le savant qui s'occupe de l'histoire de l'humanité. Elle n'a pas d'application en politique. La conscience instinctive qui a présidé à la confection de la carte d'Europe n'a tenu aucun compte de la race, et les premières nations de l'Europe sont des nations de sang essentiellement mélangé.

Le fait de la race, capital à l'origine, va donc toujours perdant de son importance. L'histoire humaine diffère essentiellement de la zoologie. La race n'y est pas tout, comme chez les rongeurs ou les félins, et on n'a pas le droit d'aller par le monde tâter le crâne des gens, puis les prendre à la gorge en leur disant : “Tu es notre sang ; tu nous appartiens !” En dehors des caractères anthropologiques, il y a la raison, la justice, le vrai, le beau, qui sont les mêmes pour tous. Tenez, cette politique ethnographique n'est pas sûre. Vous l'exploitez aujourd'hui contre les autres ; puis vous la voyez se tourner contre vous-mêmes. Est-il certain que les Allemands, qui ont élevé si haut le drapeau de l'ethnographie, ne verront pas les Slaves venir analyser, à leur tour, les noms des villages de la Saxe et de la Lusace, rechercher les traces des Wiltzes ou des Obotrites, et demander compte des massacres et des ventes en masse que les Othons firent de leurs aïeux ? Pour tous il est bon de savoir oublier.

J'aime beaucoup l'ethnographie ; c'est une science d'un rare intérêt ; mais, comme je la veux libre, je la veux sans application politique. En ethnographie, comme dans toutes les études, les systèmes changent ; c'est la condition du progrès. Les limites des États suivraient les fluctuations de la science. Le patriotisme dépendrait d'une dissertation plus ou moins paradoxale. On viendrait dire au patriote : “Vous vous trompiez ; vous versiez votre sang pour telle cause ; vous croyiez être celte ; non, vous êtes germain”. Puis, dix ans après, on viendra vous dire que vous êtes slave. Pour ne pas fausser la science, dispensons-la de donner un avis dans ces problèmes, où sont engagés tant d'intérêts. Soyez sûrs que, si on la charge de fournir des éléments à la diplomatie, on la surprendra bien des fois en flagrant délit de complaisance. Elle a mieux à faire : demandons-lui tout simplement la vérité.

II. - Ce que nous venons de dire de la race, il faut le dire de la langue. La langue invite à se réunir ; elle n'y force pas. Les États-Unis et l'Angleterre, l'Amérique espagnole et l'Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu'elle a été faite par l'assentiment de ses différentes parties, compte trois ou quatre langues. Il y a dans l'homme quelque chose de supérieur à la langue : c'est la volonté. La volonté de la Suisse d'être unie, malgré la variété de ses idiomes, est un fait bien plus important qu'une similitude souvent obtenue par des vexations.

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ordonnance de Villers-Cotterêts, 15 août 1539

Un fait honorable pour la France, c'est qu'elle n'a jamais cherché à obtenir l'unité de la langue par des mesures de coercition. Ne peut-on pas avoir les mêmes sentiments et les mêmes pensées, aimer les mêmes choses en des langages différents ? Nous parlions tout à l'heure de l'inconvénient qu'il y aurait à faire dépendre la politique internationale de l'ethnographie. Il n'y en aurait pas moins à la faire dépendre de la philologie comparée. Laissons à ces intéressantes études l'entière liberté de leurs discussions ; ne les mêlons pas à ce qui en altérerait la sérénité. L'importance politique qu'on attache aux langues vient de ce qu'on les regarde comme des signes de race. Rien de plus faux. La Prusse, où l'on ne parle plus qu'allemand, parlait slave il y a quelques siècles ; le pays de Galles parle anglais ; la Gaule et l'Espagne parlent l'idiome primitif d'Albe la Longue ; l'Égypte parle arabe ; les exemples sont innombrables.

Même aux origines, la similitude de langue n'entraînait pas la similitude de race. Prenons la tribu proto-aryenne ou proto-sémite ; il s'y trouvait des esclaves, qui parlaient la même langue que leurs maîtres ; or l'esclave était alors bien souvent d'une race différente de celle de son maître. Répétons-le : ces divisions de langues indo-européennes, sémitiques et autres, créées avec une si admirable sagacité par la philologie comparée, ne coïncident pas avec les divisions de l'anthropologie. Les langues sont des formations historiques, qui indiquent peu de choses sur le sang de ceux qui les parlent, et qui, en tout cas, ne sauraient enchaîner la liberté humaine quand il s'agit de déterminer la famille avec laquelle on s'unit pour la vie et pour la mort.

Cette considération exclusive de la langue a, comme l'attention trop forte donnée à la race, ses dangers, ses inconvénients. Quand on y met de l'exagération, on se renferme dans une culture déterminée, tenue pour nationale ; on se limite, on se claquemure. On quitte le grand air qu'on respire dans le vaste champ de l'humanité pour s'enfermer dans des conventicules de compatriotes. Rien de plus mauvais pour l'esprit ; rien de plus fâcheux pour la civilisation. N'abandonnons pas ce principe fondamental, que l'homme est un être raisonnable et moral, avant d'être parqué dans telle ou telle langue, avant d'être un membre de telle ou telle race, un adhérent de telle ou telle culture. Avant la culture française, la culture allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine. Voyez les grands hommes de la Renaissance ; ils n'étaient ni français, ni italiens, ni allemands. Ils avaient retrouvé, par leur commerce avec l'antiquité, le secret de l'éducation véritable de l'esprit humain, et ils s'y dévouaient corps et âme. Comme ils firent bien !

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Raphaël, L'école d'Athènes, 1509-1510

III. - La religion ne saurait non plus offrir une base suffisante à l'établissement d'une nationalité moderne. À l'origine, la religion tenait à l'existence même du groupe social. Le groupe social était une extension de la famille. La religion, les rites étaient des rites de famille. La religion d'Athènes, c'était le culte d'Athènes même, de ses fondateurs mythiques, de ses lois, de ses usages. Elle n'impliquait aucune théologie dogmatique. Cette religion était, dans toute la force du terme, une religion d'État. On n'était pas athénien si on refusait de la pratiquer. C'était au fond le culte de l'Acropole personnifiée. Jurer sur l'autel d'Aglaure, c'était prêter le serment de mourir pour la patrie. Cette religion était l'équivalent de ce qu'est chez nous l'acte de tirer au sort, ou le culte du drapeau. Refuser de participer à un tel culte était comme serait dans nos sociétés modernes refuser le service militaire. C'était déclarer qu'on n'était pas athénien.

D'un autre côté, il est clair qu'un tel culte n'avait pas de sens pour celui qui n'était pas d'Athènes ; aussi n'exerçait-on aucun prosélytisme pour forcer des étrangers à l'accepter ; les esclaves d'Athènes ne le pratiquaient pas. Il en fut de même dans quelques petites républiques du Moyen Âge. On n'était pas bon vénitien si l'on ne jurait point par saint Marc ; on n'était pas bon amalfitain si l'on ne mettait pas saint André au-dessus de tous les autres saints du paradis. Dans ces petites sociétés, ce qui a été plus tard persécution, tyrannie, était légitime et tirait aussi peu à conséquence que le fait chez nous de souhaiter la fête au père de famille et de lui adresser des voeux au premier jour de l'an.

Ce qui était vrai à Sparte, à Athènes, ne l'était déjà plus dans les royaumes sortis de la conquête d'Alexandre, ne l'était surtout plus dans l'Empire romain. Les persécutions d'Antiochus Épiphane pour amener l'Orient au culte de Jupiter Olympien, celles de l'Empire romain pour maintenir une prétendue religion d'État furent une faute, un crime, une véritable absurdité. De nos jours, la situation est parfaitement claire. Il n'y a plus de masses croyant d'une manière uniforme. Chacun croit et pratique à sa guise, ce qu'il peut, comme il veut. Il n'y a plus de religion d'État ; on peut être français, anglais, allemand, en étant catholique, protestant, israélite, en ne pratiquant aucun culte. La religion est devenue chose individuelle ; elle regarde la conscience de chacun. La division des nations en catholiques, protestantes, n'existe plus. La religion, qui, il y a cinquante-deux ans, était un élément si considérable dans la formation de la Belgique, garde toute son importance dans le for intérieur de chacun ; mais elle est sortie presque entièrement des raisons qui tracent les limites des peuples.

IV. - La communauté des intérêts est assurément un lien puissant entre les hommes. Les intérêts, cependant, suffisent-ils à faire une nation ? Je ne le crois pas. La communauté des intérêts fait les traités de commerce. Il y a dans la nationalité un côté de sentiment ; elle est âme et corps à la fois ; un Zollverein n'est pas une patrie.

1828
le Zollverein (union douanière des États allemands au XIXe siècle)
n'est pas une patrie, dit Renan ; l'Union européenne, non plus.

V. - La géographie, ce qu'on appelle les frontières naturelles, a certainement une part considérable dans la division des nations. La géographie est un des facteurs essentiels de l'histoire. Les rivières ont conduit les races ; les montagnes les ont arrêtées. Les premières ont favorisé, les secondes ont limité les mouvements historiques. Peut-on dire cependant, comme le croient certains partis, que les limites d'une nation sont écrites sur la carte et que cette nation a le droit de s'adjuger ce qui est nécessaire pour arrondir certains contours, pour atteindre telle montagne, telle rivière, à laquelle on prête une sorte de faculté limitante a priori ? Je ne connais pas de doctrine plus arbitraire ni plus funeste. Avec cela, on justifie toutes les violences. Et, d'abord, sont-ce les montagnes ou bien sont-ce les rivières qui forment ces prétendues frontières naturelles ? Il est incontestable que les montagnes séparent ; mais les fleuves réunissent plutôt. Et puis toutes les montagnes ne sauraient découper des États. Quelles sont celles qui séparent et celles qui ne séparent pas ? De Biarritz à Tornea, il n'y a pas une embouchure de fleuve qui ait plus qu'une autre un caractère bornal. Si l'histoire l'avait voulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l'Elbe, l'Oder auraient, autant que le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait commettre tant d'infractions au droit fondamental, qui est la volonté des hommes. On parle de raisons stratégiques. Rien n'est absolu ; il est clair que bien des concessions doivent être faites à la nécessité. Mais il ne faut pas que ces concessions aillent trop loin. Autrement, tout le monde réclamera ses convenances militaires, et ce sera la guerre sans fin. Non, ce n'est pas la terre plus que la race qui fait une nation. La terre fournit le substratum, le champ de la lutte et du travail ; l'homme fournit l'âme. L'homme est tout dans la formation de cette chose sacrée qu'on appelle un peuple. Rien de matériel n'y suffit. Une nation est un principe spirituel, résultant des complications profondes de l'histoire, une famille spirituelle, non un groupe déterminé par la configuration du sol.
Nous venons de voir ce qui ne suffit pas à créer un tel principe spirituel : la race, la langue, les intérêts, l'affinité religieuse, la géographie, les nécessités militaires. Que faut-il donc en plus ? Par suite de ce qui a été dit antérieurement, je n'aurai pas désormais à retenir bien longtemps votre attention.

III

Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs, ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime ; les ancêtres nous ont faits ce que nous sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans la passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant spartiate : “Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes” est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie.

Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser ; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques ; voilà ce que l'on comprend malgré les diversités de race et de langue. Je disais tout à l'heure-: “avoir souffert ensemble” ; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun.

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monument aux morts de Guéméné-sur-Scorff
(Morbihan)

Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l'ordre d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus qu'un roi le droit de dire à une province : “Tu m'appartiens, je te prends”. Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir.

Nous avons chassé de la politique les abstractions métaphysiques et théologiques. Que reste-t-il, après cela ? Il reste l'homme, ses désirs, ses besoins. La sécession, me direz-vous, et, à la longue, l'émiettement des nations sont la conséquence d'un système qui met ces vieux organismes à la merci de volontés souvent peu éclairées. Il est clair qu'en pareille matière aucun principe ne doit être poussé à l'excès. Les vérités de cet ordre ne sont applicables que dans leur ensemble et d'une façon très générale. Les volontés humaines changent ; mais qu'est-ce qui ne change pas ici-bas ? Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n'est pas la loi du siècle où nous vivons. À l'heure présente, l'existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n'avait qu'une loi et qu'un maître.

Par leurs facultés diverses, souvent opposées, les nations servent à l'oeuvre commune de la civilisation ; toutes apportent une note à ce grand concert de l'humanité, qui, en somme, est la plus haute réalité idéale que nous atteignions. Isolées, elles ont leurs parties faibles. Je me dis souvent qu'un individu qui aurait les défauts tenus chez les nations pour des qualités, qui se nourrirait de vaine gloire ; qui serait à ce point jaloux, égoïste, querelleur ; qui ne pourrait rien supporter sans dégainer, serait le plus insupportable des hommes. Mais toutes ces dissonances de détail disparaissent dans l'ensemble. Pauvre humanité, que tu as souffert ! que d'épreuves t'attendent encore ! Puisse l'esprit de sagesse te guider pour te préserver des innombrables dangers dont ta route est semée !

Je me résume, Messieurs. L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister. Si des doutes s'élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d'avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre à terre. “Consulter les populations, fi donc ! quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d'une simplicité enfantine”. - Attendons, Messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d'avoir raison dans l'avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé.

Ernest Renan, 1882

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point de vue



"la nation selon Renan est morte"

Pierre NORA (en 2007)
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Le Monde 18/19 mars 2007,
propos recueillis par Sophie Gherardi (extraits)

Que reste-t-il alors du projet national français tel que nous l’avons connu ?
Il y a eu au moins trois tentatives idéologiques pour retrouver un sens collectif. La percée de Jean-Marie Le Pen, d’abord, mais qui est une forme de régression nationaliste, réactionnaire, cantonnée à des secteurs archaïques de l’opinion ; la percée des écologistes, porteurs d’un grand projet qui consiste à noyer la culture dans la nature, et qui n’est ni de droite ni de gauche puisqu’il ne pose pas la question sociale ; la percée de l’idéologie des droits de l’homme, enfin.
Celle-ci me paraît assez contradictoire avec un projet purement national, on peut même dire qu’elle porte en elle la destruction du roman national. L’histoire de la nation française est criminelle au regard des droits de l’homme. Le projet "droits-de-l’hommien" comporte un élément accusateur des péripéties les plus sombres du roman national. Il est par définition peu intégrable à la vision classique de la nation. Depuis le XVIIIe siècle, cette dernière avait été associée à l’idée de civilisation. Les Lumières avaient vu dans la nation le véhicule du progrès de la civilisation, parce qu’elle était le lieu de la raison : nation, raison et civilisation marchaient du même pas. La poussée de la pensée des droits de l’homme dans sa forme récente, très individualiste, dissocie cette trilogie. Elle se réclame de la civilisation, mais plus de la nation.

On peut comprendre le sentiment de perte qu’éprouvent beaucoup de Français...
Nous sommes dans une phase de recomposition et la volonté y joue son rôle. On a cru longtemps que l’Europe pouvait servir de substitut à la nation, on voit maintenant que ce n’était pas vrai. Le nationalisme, de droite ou de gauche, nous avait caché la nation. La fin du marxisme a contribué a nous rendre cette conscience de l’ampleur, de la profondeur historique de l’imprégnation nationale.
Mais le discours sur la nation ne peut pas rester le même. On ne cesse de citer Renan dans Qu’est-ce qu’une nation ? : le culte des ancêtres, la volonté de vivre ensemble, avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir en faire encore... Mais pour moi la nation selon Renan est morte. Cette vision, sur laquelle nous vivons encore, correspond à l’ancienne identité nationale, celle qui associait le passé et l’avenir dans un sentiment de continuité, de filiation et de projet. Or ce lien s’est rompu, nous faisant vivre dans un présent permanent. J’y vois l’explication de l’omniprésence du thème de la mémoire, et de son corollaire, l’identité. Lorsqu’il n’y a plus de continuité avec le passé, la nouvelle trilogie est : mémoire, identité, patrimoine.

source : association Liberté pour l'histoire

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29 septembre 2008

identité bretonne

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identité bretonne


échange de messages avec Philippe, de Brest


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Brest


je me sens d'identité nationale bretonne


réponse au message du 28/09/08 22:17
De : "Michel RENARD"
A : brest.lcr@laposte.net
Objet : Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?

salut

message tronqué, je suis allé sur votre blog.
personnellement je ne suis pas de votre bande, je me sens d'identité nationale bretonne (né au Sénégal, polyglotte, ayant vécu en Espagne et en Tunisie, pas nationaliste breton du tout).
par contre notre ami Piquet (la tendance unitaire de la LCR)  qui a écrit un livre sur la république doit être assez proche de vous non ?
kenavo
Philippe

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réponse

Merci de votre message.

La nation n'est pas une "bande" et l'identité bretonne (indéniable) n'est pas une nation - sauf pour une infime minorité de militants indépendantistes qu'on entendait il y a une trentaine d'années... et même pas pour les autonomistes qui, de toute façon, ne font guère que 2% des voix aux élections.
Il y a donc certainement une manière bretonne (celtique, armoricaine...) d'appartenir à la nation française. "Cette vieille province - comme le dit l'historien Joël Cornette, si passionnément bretonne et si éminemment française".

Quant à "notre ami Piquet", je le connais de notoriété mais je n'ai pas lu (sûrement à tort) ses livres.

kenavo (pourquoi pas)

Michel Renard

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calvaire de Menez-Groas (Finistère) - inscriptions : Voeu 1914-1918,
G. Louarn - date: 1920 - constructeur : Louarn
(source)



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