Pour savoir s’ils sont sous-représentés, il faut donc connaître le nombre de Noirs en France, ce qui n’est pas le cas
Statistiques :
la question des minorités en France
Michèle TRIBALAT
Alors
que le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran)
revendique une plus grande place des candidats issus des minorités aux
prochaines élections, l’auteur, démographe à l’Institut national
d’études démographiques (Ined), prend part au débat.
En
France, l’élection de Barack Obama a conduit à des réactions
préoccupantes. Alors qu’elle dénote un dépassement de la question noire
aux États-Unis, comme y avait invité le candidat, elle est trop souvent
interprétée en France comme une simple affaire de couleur.
Le Cran
a profité de l’aubaine pour mettre en avant ses revendications. Il
avance un nombre de personnes dites noires hautement improbable, sans
soulever l’once d’un désaccord. On a déjà connu cela du temps de
Calixthe Beyala, qui chiffrait le peuple noir à 7 millions en 2000 ! La
seule référence disponible est une enquête réalisée pour le Cran en
2007, qui évalue leur pourcentage dans l’Hexagone à 2,5 %. Aujourd’hui,
le président du Cran, Patrick Lozès, nous assure qu’il y aurait 5
millions de Noirs en France, y compris ceux des DOM, et que ce nombre
égale celui des personnes d’origine maghrébine. D’après mes
estimations, le nombre de ces derniers vivant en métropole, sur trois
générations, serait de 3,5 millions en 2005, soit près de 6 % de la
population, ce qui rend le chiffre du Cran tout à fait irréaliste.
L’incapacité à mettre en cause un chiffre avancé par un Noir sur le nombre de Noirs en France en dit long sur notre société et constitue un traitement discriminatoire à part entière. Mais elle tient aussi au parisianisme de la presse nationale. Cette dernière extrapole la situation française d’après ce qu’elle a sous les yeux. 60 % de l’immigration subsaharienne arrive en Ile-de-France. La migration des DOM a été elle aussi très francilienne.
Le CSA vient de réaliser une enquête sur les émissions télévisées et la présence, sur nos écrans, des Noirs et des non-Blancs, mais oui des non-Blancs ! Un Arabe est ainsi classé parmi les non-Blancs par le CSA et parmi les Blancs aux États-Unis ! Les non-Blancs en général, et les Noirs en particulier, seraient sous-représentés à la télévision : 8 % de Noirs dans l’ensemble des programmes, ce n’est pas assez. Il faut revenir au b.a.-ba statistique : on ne peut établir une sous-représentation d’une catégorie particulière sans disposer d’une référence nationale. Pour savoir s’ils sont sous-représentés, il faut donc connaître le nombre de Noirs en France, ce qui n’est pas le cas, enquête du Cran en 2007 mise à part. Tout le reste n’est que divagations.
Le plus drôle c’est que, même d’après les hypothèses
les plus fantaisistes du Cran, les Noirs ne seraient pas
sous-représentés à la télévision. Le CSA nous dit que les non-Blancs ne
constituent que 11 % des personnages recensés dans la fiction française
contre 19 % dans la fiction américaine. Faut-il préciser que le cinéma
américain n’est pas destiné en priorité au public français ? En 2007,
aux États-Unis, où l’on élabore des statistiques raciales, 14 % des
Américains sont noirs.
l’abstention de la statistique publique
n’a pas empêché
le ressassement des questions ethnoraciales
En France, on ne devrait pas pouvoir à la fois se vanter d’avoir réussi à faire barrage aux statistiques ethnoraciales et espérer connaître la situation des Noirs. Pourtant, manifestement, dans ce pays, on sait sans avoir besoin de compter. Or le Conseil constitutionnel a interdit les statistiques fondées sur une appréciation subjective. Mais c’est pour la bonne cause. Non ?
La question étant sur la table, il vaudrait mieux avoir des statistiques bien faites plutôt que des évaluations approximatives élaborées par des groupes de pression, fort légitimes, mais directement intéressés par les résultats. L’abstention de la statistique publique n’a pas empêché le ressassement des questions ethnoraciales.
Michèle Tribala
mercredi 19 novembre 2008
Le Figaro